Dictionnaire Biographique
de L'affaire Dreyfus

Mauclair, Camille, poète, romancier et critique, né à Paris le 29 décembre 1872 et mort à Paris le 23 avril 1945.
De son vrai nom Séverin Faust, Mauclair fit de brillantes études qu’il abandonna pour la poésie. Collaborateur de la plupart des revues de « Jeunes »
(La Conque, La Revue indépendante, La Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg, La Revue blanche, le Mercure de France, Le Coq rouge, les Essais d’art libre,
Les Entretiens politiques et littéraires, L’Art moderne, L’Ermitage, La Société nouvelle, L’Image, etc.), il signa aussi dans de nombreuses revues « généralistes »
(La Nouvelle revue, La Revue encyclopédique, La Grande revue, La Revue des revues, etc.) et, comme ses confrères, dans les journaux (L’Estafette, L’Événement,
Gil blas, La Cocarde, Le Figaro, L’Aurore, La Dépêche de Toulouse, etc). Il a laissé un ouvrage de « critique morale » (Eleusis. Causeries sur la cité intérieure, 1892),
des recueils de poèmes (Sonatines d’automne, 1894 ; Le Sang parle, 1904), des romans (Couronnes de Clarté, 1895 ; Orient vierge, 1897 ; Le Soleil des morts, 1898 ;
L’Ennemie des rêves, 1899 ; Les Mères sociales, 1902 ; a Ville lumière, 1904, etc.), des études, des contes, quelques drames et une bonne cinquantaine de lumes
sur l’art. Sans grande personnalité, disciple et imitateur des grandes figures de son époque (cf. la grinçante et juste notice de van Bever et Léautaud dans
leur Poètes d’aujourd’hui), il suivit le mouvement en se rapprochant des compagnons anarchistes et en les soutenant en déclarations tonitruantes qu’il
publia dans leur presse (L’Endehors, La Revue anarchiste, Le Courrier social illustré, L’Œuvre sociale, La Renaissance, etc.). Il fut aussi, avec Lugné-Poe,
le fondateur du théâtre de L’Œuvre.
 
 

Dès novembre 1897, dans L’Aurore, il s’engagea en dénonçant la presse qui se ruait sur Scheurer-Kestner et « injecte l’esprit de délation » (« Inconscience de la foule », 11 novembre) et, quelques jours plus tard, fit part de ses doutes dans un article qui célébrait Monod (« Une belle leçon », 27 novembre). Peu après, en décembre, saisissant l’occasion d’affirmer le droit de l’écrivain de participer à la vie de la Cité, il soutint Zola, toujours dans L’Aurore (« Écrivains mais citoyens », 13 décembre), puis dans l’enquête de La Critique et dans L’Hommage des Lettres françaises à Émile Zola, en tenant toujours à marquer, en bon symboliste, sa totale désapprobation de l’esthétique naturaliste. S’il refusa, fin décembre 1897, de signer « l’Adresse à Zola » – première forme de ce qui sera appelé, bien longtemps après, le « Manifeste des Intellectuels » –, projetée par Daniel Halévy, Jacques Bizet et Fernand Gregh, pensant inutile de le féliciter collectivement « d’avoir fait son devoir » et préférant, à la « manifestation purement platonique », un « projet combatif : une ligue d’écrivains et publicistes présidée par Zola et agissant près de l’État – ou quelque chose d’analogue... » (lettre à Fernand Gregh), il donnera son nom parmi les premiers aux deux protestations de janvier 1898 (première liste et troisième liste), ainsi qu’à « l’adresse » des artistes et littérateurs de février 1898 et à la Protestation pour Picquart.

Dans ses articles (en tout 28 sur l’Affaire dans L’Aurore), comme dans l’enquête de La Critique, il réserva toujours son opinion sur l’innocence de Dreyfus et, si plus tard, en 1922, dans ses souvenirs, il parlera d’une « sorte d’intuition de l’erreur judiciaire possible » née en lui dès 1894, il ne se montra jamais particulièrement convaincant. Mauclair, qui s’engagea dans l’Affaire surtout par amitié et admiration pour Clemenceau, se considérera, plus tard, dans ses souvenirs, comme ayant été certes « un dreyfusard de la première minute, par goût de la vérité » mais comme un dreyfusard qui demeura toujours plus spectateur qu’acteur (« un assistant ému, et non un militant »). En fait, il fut bien un militant même s’il demeure vrai que l’Affaire fut plutôt pour lui, comme il l’écrit encore dans ses souvenirs, l’occasion de chercher « des hommes, des scènes, des sensations fortes, plutôt que des principes et des directions de la pensée ». Là où il est plus difficile de le suivre, c’est quand, pour expliquer son retrait, il ajoute : « Je fus écœuré lorsqu’aux artistes, aux intellectuels, aux braves gens évidemment honnêtes et désintéressés qui soutenaient “la cause du droit” en risquant les pires outrages, se mêlèrent des internationalistes louches, des cabotins d’anarchie ». En effet, son dernier article, le 30 janvier 1899, « Le Vrai sens de la révolution », restait bien dans la ligne anarchisante qu’il défendait encore. Il semble plutôt que son installation à Marseille en soit la véritable cause. Mais quoi qu’il pût en être, il évolua bientôt, « d’abord par dégoût des profiteurs, ensuite par dégoût de voir bouleverser ainsi un pays pour un homme ».

Il évoluera par la suite plus encore. Lui, qui, pendant l’Affaire, s’était élevé contre « la non-valeur mentale de l’antisémitisme » (enquête de La Critique), refusait encore en 1922 l’« odieux » antisémitisme, « erreur sociale (...) toujours illogique », multiplia, à la fin des années 20, les pamphlets contre les marchands d’art (« tous israélites ») et contre la nouvelle peinture, « dégénérée », œuvre de « métèques » qui « s’accordent tous pour attaquer la tradition latine et obéir à l’esprit de criticisme négateur, de dissociation, de chambardement des valeurs, qui est le vieux fond bolchevik de leur race » (La Farce de l’art vivant. Paris, NRC, 1929). Et de demander alors que soit « purifiée » la peinture française... De même, pendant l’Occupation, il publia dans La Gerbe collaborationniste d’Alphonse de Chateaubriant quelques articles sur les Juifs dans l’art (« Pour l’assainissement littéraire », 2 janvier 1941), et une brochure dans laquelle il se réjouissait des mesures antijuives qui avaient permis de fermer les « galeries juives » et exclure des journaux les « critiques juifs » (La Crise de l’art moderne. Paris, Imprimerie CEA, 1944). Estimant qu’il fallait aller plus loin encore, il rédigea, avec Guirand de Scévola, un rapport sur les moyens de sauver l’art français à destination de Pétain. Mais il ne s’en tint pas à l’art seul. Dans Le Matin, auquel il collabora régulièrement de 1940 à 1945, il multiplia les chroniques anglophobes et antisémites (voir, par exemple, « Pourquoi l’Angleterre est enjuivée », 16 novembre 1943). On le retrouvera encore membre de l’Association des Journalistes Antijuifs, président d’une section du groupe « Collaboration », dont La Gerbe était devenu l’organe officiel, et, aux côtés de Brasillach, Drieu La Rochelle, Céline, Béraud, Bonnard, Cousteau, La Varende, etc., signataire du « Manifeste des intellectuels français contre les crimes britanniques » publié dans Le Petit parisien du 9 mars 1942. En mai 1944, il collaborait encore au Grand magazine illustré de la Race : Revivre. A la Libération, le Front national des arts, présidé par Picasso, réclamera sa tête, et le CNE l’inscrira sa liste d’auteurs interdits.

Mauclair (qu’Hervieu, selon Renard, décrivait comme « une pâle jeune fille aux dents de loup ») est particulièrement représentatif de ces « Jeunes », appartenant à la mouvance symboliste, qui s’engagèrent en dreyfusisme comme ils s’engagèrent en anarchie, moyen de mettre en pratique l’idée qu’ils avaient et défendaient de ce que devait être le rôle de l’écrivain dans la Cité. Mais peut-être y avait-il aussi, à la différence d’un Lazare, d’un Quillard, d’un Herold, d’un Ajalbert, d’un Golberg, etc., dans son dreyfusisme, beaucoup de cette nécessité qui fut toujours la sienne, et que beaucoup lui reprochèrent en littérature, de ressembler aux amis du moment et d’essayer de se faire une place en s’appropriant les idées des autres.

En plus de ses articles de L’Aurore, il a laissé quelques pages de souvenirs dans son volume Servitude et Grandeur Littéraires (Paris, Ollendorff, 1922, pp. 124 à 139). La lettre, évoquée, à Fernand Gregh, a été publiée par Jean-Pierre Halévy dans Daniel Halévy, Regards sur l’affaire Dreyfus. Paris, Éditions de Fallois, 1994, pp. 258-259.

Philippe Oriol