Introduction :
Compositeur partie intégrante de la vie musicale viennoise du début du XXe
siècle, Erich Wolfgang Korngold, fils d'un des critiques les plus célèbres
de Vienne, enfant prodige dépassant de loin un autre Wolfgang sur le plan de
la création musicale, gagne très tôt l'admiration de ses pairs les plus
prestigieux. Ainsi, Gustav Mahler louera déjà ses talents alors qu'il n'a
pas encore... 10 ans. Il ne faut pas attendre longtemps pour que le jeune
garçon conquière la capitale autrichienne, l'Europe, le monde. Après une
carrière aussi fulgurante que chahutée, comme il était de coutume à Vienne,
il s'expatrie aux Etats-Unis pour des raisons artistiques d'abord,
politiques ensuite. Il y forge la nouvelle esthétique de la musique
cinématographique.
Pour cette raison, Korngold, figure musicale parmi les plus attachantes du
XXe siècle, est aujourd'hui mieux connu des cinéphiles que des mélomanes. Sa
musique, tantôt énergique, tantôt sentimentale, est une envoûtante évocation
de la Vienne dorée et décadente du début du XXe siècle. Même lorsqu'elle se
fait tragique ou exotique, l'atmosphère de la capitale autrichienne n'est
jamais loin.
Korngold restera toujours attaché à cette ville enjouée, foisonnante et
«bonne vivante» qu'il aima tant dans sa jeunesse. Une fois exilé aux
Etats-Unis, il s'entoure d'autres expatriés avec lesquels il aime travailler
ou simplement passer du bon temps, car l'homme est fidèle en amitié, qu'elle
soit humaine ou artistique. Le bonheur passe aussi par l'amour partagé avec
la délicieuse Luzi et la famille qu'ils fondent ensemble.
Toute sa vie, Erich gardera son caractère d'enfant espiègle à la bonne
humeur communicative, extravagant, gourmand de sucreries, mais aussi très
naïf sur le plan politique. Son attitude générale face aux événements qui
secouent son siècle le démontre : c'est sa carrière américaine, débutée
grâce à Max Reinhardt, qui lui a indubitablement sauvé la vie.
Courtisé par les grands studios, il finira par être déçu de la qualité
déclinante des productions qu'on lui propose. L'engouement qu'il éprouve
pour le cinéma parlant, nouveau mode d'expression artistique, n'a qu'un
temps. Après la guerre, il tente un retour sur le devant de la scène
musicale européenne. Si le succès n'est plus au rendez-vous, il renoue avec
bonheur avec la musique dite «sérieuse», composant sa première «véritable»
symphonie, témoignage de cet amour de la tradition et de l'esthétique
post-romantique qui colore tout son catalogue.
Cinq opéras, dix films, maints arrangements d'opérettes ainsi que de
nombreuses oeuvres de musique de chambre et vocales font de Korngold un
auteur prolifique qui sait nous emmener dans son monde enchanteur et coloré.
Esquisser son portrait, c'est aussi rencontrer beaucoup de «grands» de ce
siècle : Gustav et Aima Mahler, Richard Strauss, Alexander von Zemlinsky,
Arnold Schoenberg, Bruno Walter ; Max Reinhardt à la scène ; Errol Flynn,
Olivia de Havilland, Bette Davis et... Ronald Reagan à l'écran.
Bruno Walter
Thème et variations, souvenirs et réflexions
Editions Maurice et Pierre Foetisch, Lausanne, s. d., p. 228.
"En mars 1916, eut lieu, sous ma direction, la création de L'Anneau de
Polykrate et de Violanta d'Erich Wolfgang Korngold, œuvres qui témoignaient de
dons musicaux et dramatiques étonnants.
Le compositeur, fils du critique musical Julius Korngold, m'était naturellement connu de Vienne. [...] C'était Mahler qui
m'avait parlé le premier de cet enfant de six ou sept ans [...] dont les
dispositions musicales, la maturité précoce lui avaient fait grande impression.
[...]
Avec Rosé [...], j'avais donné la première exécution d'un trio tout à fait
intéressant et d'une harmonie audacieuse ;
quant aux deux opéras en un acte, que
j'avais entendu jouer à ravir au piano par le compositeur âgé de dix-huit ans,
ils m'avaient semblé si pleins de musique et si authentiques en même temps dans
leur flamme dramatique, que je les avais aussitôt acceptés pour Munich. Le
succès fut considérable et j'étais très heureux de pouvoir servir un talent si
marqué."
Nicolas Derny
Musicologue, musicographe et journaliste musical, Nicolas Derny est licencié en
Histoire de l'Art et Archéologie (spécialisation musicologie) de l'Université
Libre de Bruxelles. Il collabore régulièrement au magazine belge Crescendo ainsi
qu'avec divers labels discographiques.
Ses recherches musicologiques, orientées
vers l'esthétique et l'analyse musicale, s'articulent principalement autour du post-romantisme germanique, de l'École Nationale Tchèque et de la relation entre
littérature, philosophie et musique.