Plegaria (Prière) : Le Tango de la mort !
Eduardo Bianco (Rosario 1892 – Buenos Aires 1959)

Les débuts d’Eduardo Bianco

Eduardo Bianco (1892-1959) est un violoniste de Rosario (Argentine) de formation classique qui se décide très jeune à quitter sa ville natale, pour la capitale Argentine, Buenos Aires. Après quelques tentatives infructueuses, il se résout à partir pour l’Europe en 1923 où il deviendra très rapidement un des musiciens de Tango les plus célèbres de son époque. Il commencera à se produire dès 1924 à Paris avec le bandonéoniste Jose Maria Schumacher et le pianiste Luis Cosenza, puis Genaro Esposito et le célèbre Manuel Pizarro. C’est la rencontre avec Juan Bautista Deambroggio , dit  » Bachicha « , un fameux bandéoniste qui fit ses débuts aux côtés de Roberto Firpo, qui consacrera son succès. L’orchestre Bianco- Bachicha fera sa première apparition au cabaret « Palermo » de la rue Fontaine, à Paris. Tout l’orchestre était habillé, comme il était de coutume à cette époque, en « gauchos ».  En Europe, dans ces années, tout le Tango qui venait d’Argentine, était bon à prendre. C’est ainsi que l’orchestre Bianco-Bachica s’est produit à diverses occasions sur la Côte d’Azur et a même pu faire quelques concerts aux États-Unis.
Pour en savoir plus sur Plegaria et Eduardo Bianco

 

 

Bianco : Une moralité quelque peu douteuse

Eduardo Bianco commença dès lors à tisser des liens avec les classes supérieures et, plus particulièrement, avec quelques dirigeants politiques de l’extrême droite. Certains, comme Enrique Cadícamo, avertissaient les musiciens argentins arrivant à Paris : « Évitez de parler politique devant Bianco, car c’est un agent secret des nazis, c’est d’ailleurs pour cela qu’il a été arrêté par la police française en 1937. » Cette sympathie pour certains dirigeants d’extrême droite l’amènera à dédier en 1931 un premier Tango, Evocación (évocation) à Benito Mussolini, puis un second la même année, Plegaria (prière ou supplique) à sa Majesté le Roi Alphonse XIII d’Espagne quelques mois avant sa destitution. Ceci n’empêchera pas Bianco de jouer également en URSS pour Staline !

 

Plegaria : le Tango de la mort !

Date : 22/04/1927
Lieu : France
Orchestre : Bianco-Bachicha.
Chant : Juan Raggi / choeur.
Durée : 03’11"
Label : Odeón 165.098 (78t. 25 cm. - Matrice : KI 1187 (source bibletango.com)

C’est également durant ces années sombres que Bianco va faire la connaissance de Eduardo Labougle, l’ambassadeur d’Argentine à Berlin, aussi admiratif d’Hitler qu’antisémite. Ce dernier souhaite promouvoir le Tango Argentin auprès des élites du IIIème Reich, pour le plus grand plaisir de Joseph Goebbels, qui y voit une excellente alternative au Jazz des Noirs Américains. Aussi, à l’occasion d’une réception organisée à l’ambassade d’Argentine, en présence du Führer, l’occasion fut donnée à Eduardo Bianco et son orchestre d’interpréter quelques morceaux pour Adolf Hitler. Sans prêter précisément attention aux paroles en espagnol, il semble néanmoins qu’Hitler ait apprécié la musique dans la mesure où il demanda de l’interpréter à nouveau et ordonna que Plegaria soit jouée par des musiciens juifs et diffusée dans les camps de concentration, notamment pour accompagner les déportés juifs vers les chambres à gaz.

 

 


Pleagaria (Youtube)

C’est ainsi que Plegaria deviendra le Tango de la Muerte (Tango de la Mort) selon le poète roumain Paul Celan, lui même déporté dans le camp de concentration de Janowska et témoin de cette macabre orchestration. D’après les recherches effectuées par John Felstiner de l’Université de Yale, il s’agissait en fait d’une version sans paroles (les paroles originales de Bianco n’étaient pas adaptées à l’utilisation qui en fut faite) réalisée par Aleksander Kulisiewicz sur un disque intitulé « Songs from the depth of hell » (chants des profondeurs de l’enfer), mais qui était appelée par les SS, « Muerte en fuga » (mort en fugue). A ce jour, deux enregistrements sont conservés en Israël et aux États-Unis dans les musées dédiés à l’Holocauste.

De nos jours, pour les raisons que nous venons d’évoquer (et peut être d’autres encore ?), certain disent que Plegaria ne devrait pas être diffusée durant les Milongas. Il est vrai que ce morceau, tout comme les autres travaux de Eduardo Bianco ne sont pas souvent diffusés durant les bals, sans que jamais je n’ai entendu un DJ me dire que c’était en raison de l’usage macabre qui en fut fait. La question reste donc posée !

 

 

 

 

Paroles de Plegaria par Eduardo Bianco

Plegaria que llega a mi alma
al son de lentas campanadas,
plegaria que es consuelo y calma
para las almas desamparadas.
El órgano de la capilla
embarga a todos de emoción
mientras que un alma de rodillas
¡pide consuelo, pide perdón!

¡Ay de mí!… ¡Ay señor!…
¡Cuánta amargura y dolor!
Cuando el sol se va ocultando
(una plegaria)
y se muere lentamente
(brota de mi alma)
cruza un alma doliente
(y elevo un rezo)
en el atardecer.

Murió la bella penitente,
murió, y su alma arrepentida
voló muy lejos de esta vida, se fue sin quejas, tímidamente,
y di en que noche callada
se oye un canto de dolor
y su alma triste, perdónala,
toda de blanco canta al amor!

(source todotango.com)

 

 

Since the inspiration of the Argentine Eduardo Bianco, which helped to create Tango de la Muerte (tango of Death) more than half a century has passed. It was the music that accompanied the most heinous crimes committed in concentration camps of Nazi Germany

It was in May 2, 1947 in Bucharest that Paul Celan published in the Romanian language, a poem which he named Tango of Death, inspired in Plegaria, a creation of the Argentine musician Eduardo Bianco. But John Felstiner, biographer of Yale University, argues that the original title was Muerte en Fuga, coinciding with the theme behind it. "Only someone who lived in a concentration camp could know the meaning of that title," says Felstiner on his work “Paul Celan, poet, survivor, Jew” published by the same university.
The author, whose real name was Paul Antschel (Ancel, in Romanian) was born in Czernowitz, a German cultural enclave in 1920. That territory belonged to Romania and is now part of Ukraine. Paul Celan continued writing in German and said that "only in the mother tongue one can say the truth."
Now for the story: in the Janowska concentration camp near Czernowitz, an SS lieutenant ordered a group of Jewish violinists to play a song named Tango of death, to play while digging graves in the marches, torture and executions.

The same research tells us that before closing the camp, the Germans killed all the members of the orchestra.
In 1939 the musical group of Argentine Eduardo Bianco played in Paris, when Celan was living there, studying medicine. In the same year Eduardo Bianco played for Hitler and Goebbels, who preferred the tango to the alleged decline of jazz.
Similar situations were lived in the camps of Auschwitz and Majdanek, among others. The Nazis used only the music of Plegaria (Prayer) and not the lyric created by Bianco which tells of a woman praying in a church. The "Nazified" version is registered by Aleksander Kulisiewicz in his disc “Songs from the depth of hell”, stamped Folk) and the record is preserved in Israel and the United States, in museums dedicated to the Holocaust.
When a Nazi commandant of a concentration camp is bullying their victims Paul Celan identifies with them, give them voice. That is the song Muerte en Fuga  poem created as a musical counterpoint of several voices, without punctuation and united in this iterative time, like life in those fields.

Celan himself explained that "in this poem the graves in the air are not a metaphor" and Muerte en Fuga became a national obsession in postwar Germany. It was read on the radio, and schools were required text.
Celan thought that "a poem can be a message in a bottle sent with the hope that someone receives at home and perhaps in his heart."

In 1960 this survivor received the National Literature Prize George Buchner, the highest distinction in German tongue, but the fame is not consoled to his grief.
On April 20, 1970, Celan drowned himself in Paris, where he had settled in 1948.