La voix du rêve
Chant de Natzweiler-Struthof
Paroles et musique de Arthur Poitevin
Composé dans le Block 10, le 19 janvier 1944

Arthur Poitevin, surnommé "Tutur de Bayeux", né le 6 décembre 1917 à Bayeux (Port-en-Bessin-Huppain, Calvados), où il est mort en 1951, à l'âge de 34 ans, était un organiste.
Il devint aveugle à l'âge de 3 ans. Passionné de musique et fort doué, il occupa la fonction d'organiste et de professeur de musique durant toute sa courte vie. Il était également pianiste et violoniste.
Il devint un membre actif de la Résistance, mouvement Libération-Nord de Basse Normandie. Arrêté par les nazis en septembre 1943 (comme son cousin Joseph), il fut interné dans le camp de concentration de Natzweiler-Struthof en 1943-1944, où il portait le matricule 101336.
Lors de l'évacuation du camp du Struthof fin août 1944, il fut transféré à Dachau le 6 septembre 1944 et libéré par les américains le 29 avril 1945.

Le Block 10 du camp du Struthof était sous la direction d'un kapo luxembourgeois qui tolérait les instruments de musique des détenus, ainsi que leurs chants.
"Tutur" composa le 19 janvier 1944 un chant, "La Voix du Rêve", qui évoque à la fois le camp et l'espoir de la libération, il remonta le moral des codétenus et leur redonna courage et espoir.

Après sa libération, il retourna à Bayeux comme organiste de la cathédrale.

http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=46274
http://natureln.librox.net/spip.php?article552
https://www.youtube.com/watch?v=vxCJKhhKH3o
(Samedi 24 juin, Jean Villeret, ancien déporté du Struthof, a chanté "La Voix du Rêve". Les élèves entonnent avec lui le refrain)

Témoignages de internés au camp de Natzweiler-Struthof sur la chanson par Arthur Poitevin:

“L'aveugle, Tutur, considérait qu'il fallait tenir, résister. Un soir, au réfectoire, un chant s'éleva dans le silence. Tutur venait d'inventer les paroles et l'air d'une chanson sur le camp de Natzweiler, et il la chantait pour remonter le moral de ses copains. Cette fois encore, c'était lui qui donnait une leçon de courage aux autres. À sa manière, il participait à la solidarité et donnait une leçon de dignité humaine.
Les copains, auditeurs silencieux, étaient pris d'émotion, mais aussi remplis d'espoir à l'écoute de "La voix du rêve". Le rêve? C'était la liberté! Il y avait plus d'une larme sur les joues des uns et des autres, et le dernier couplet
‘ouverture sur la liberté’ engageait à l'optimisme.”
“Nous avions fait venir Tutur dans notre Block, un soir, pour l'entendre interpréter sa chanson. Je me souviens avec quelle attention émue nous l'écoutions. Je ne pouvais que penser à mes enfants. Cette chanson devint la nôtre au camp. Les êtres qui nous étaient chers n'étaient pas oubliés, cette vie que nous menions n'était qu'un cauchemar puisque le rêve pour nous était de recouvrer la liberté.
J'ai vu des camarades avoir les larmes aux yeux, c'était des larmes de tendresse à l'adresse de leurs familles qui ignoraient tout d'eux, mais qu'ils pensaient revoir bientôt tellement leur optimisme était grand. Brave Tutur, tu nous as aidés beaucoup à remonter le moral de nos camarades.
Il m'est arrivé lorsque j'allais voir les plus abattus, de leur fredonner ta chanson; un sourire effleurait leurs lèvres, ils reprenaient confiance.”

Source :

 Roger Leroy, Roger Linet, Max Nevers (préface du Dr Henri Laffitte)
1943-1945 : La Résistance en enfer
Camp de Concentration du Struthof (Bas-Rhin)
Éditions Messidor (1991)
(375 p. - 16 p. de planches illustrées, carte, 22 cm)
ISBN : 978-2-20906-602-5
pp. 225-227.

Quand revient le moment du rêve,
Que peu à peu le Block entier s'endort,
Dans le soir qui s'achève,
Quand le vent de la nuit vient pleurer près des miradors,
Parfois en notre âme un peu lasse,
Monte soudain un trouble sans pareil,
C'est comme un gai refrain qui passe,
C'est comme un rayon de soleil.

Écoutez c'est la voix du rêve,
Qui revient chanter en nos cœurs,
Déjà l'aube se lève,
Présageant pour l'avenir des jours meilleurs,
Miradors, barbelés, brimades, cela n'est plus que des souvenirs amers,
Nous rirons de nos peines bien loin de Natzweiler.

Le songe a supprimé l'espace,
À la maison nous voici de retour,
La chaise est à sa place,
Au coin de la table où nous prenions nos repas chaque jour,
Voici venir le cher visage,
Nos bienaimés nous sourient tendrement,
Pour ne pas troubler le mirage,
Les gars ronflez plus doucement.

Quelle allégresse règne en notre âme,
Ah! Quel bonheur! Ah! qu'il fait bon chez nous!
Enfants, parents ou femmes,
Tous leurs baisers ne nous avaient jamais semblé si doux,
Notre fringale est apaisée,
Plus de Mutzen! Adieu les numéros,
Fini: appels, rabiots, corvées,
Mais ne remue pas tant là-haut.

Aujourd'hui cela n'est qu'un songe,
Oui! Mais demain le réalisera,
Si les jours se prolongent,
Disons-nous que bientôt la liberté nous reviendra,
Pour cette liberté chérie,
Préparons bien nos cœurs et nos esprits,
Afin que nos fils en leur vie,
N'aient à jamais, à venir ici.

Natzweiler est un mauvais rêve,
Qui bientôt fuira de nos cœurs,
Déjà l'aube se lève,
Présageant pour l'avenir des jours meilleurs,
Miradors, barbelés et chaînes, ne seront plus que souvenirs amers,
Nous rirons de nos peines bien loin de Natzweiler.

Contribution de Bernart Bartleby - 2013/12/16 - 11:33