Francis Poulenc (1899-1963)
Secular Choral Music
Helios CDH55179
(Originally issued on Hypérion CDA66798)
New London Chamber Choir
James Wood (conductor)
Recording : May 1995
St Silas' Church, Kentish Town, London, United Kingdom
Release : September 2004
67:14
Un soir de neige
  1 No 1 : De grandes cuillers de neige [1'16]
  2 No 2 : La bonne neige [1'35]
  3 No 3 : Bois meurtri [2'21]
  4 No 4 : La nuit le froid la solitude [1'11]
Chansons françaises
  5 No 1 : Margoton va t'a l'eau [2'08]
  6 No 2 : La belle se sied au pied de la tour [1'58]
  7 No 3 : Pilons l'orge [0'42]
  8 No 4 : Clic, clac, dansez sabots [1'44]
  9 No 5 : C'est la petit fill' du Prince [5'50]
10 No 6 : La bell' si nous étions [1'10]
11 No 7 : Ah! mon Beau Laboureur [3'53]
12 No 8 : Les tisserands [1'46]
Sept Chansons
13 No 1 : La blanche neige [1'05]
14 No 2 : A peine défigurée [1'35]
15 No 3 : Par une nuit nouvelle [1'11]
16 No 4 : Tous les droits [2'40]
17 No 5 : Belle et ressemblante [2'06]
18 No 6 : Marie [1'47]
19 No 7 : Luire [1'59]
20 Chanson à boire [3'23]
Petites voix
21 No 1 : La petite fille sage [1'46]
22 No 2 : Le chien perdu [1'15]
23 No 3 : En rentrant de l'école [0'42]
24 No 4 : Le petit garçon malade [2'00]
25 No 5 : Le hérisson [0'52]
Figure Humaine
26 No 1 : De tous les printemps du monde [2'45]
27 No 2 : En chantant les servantes s'élancent [1'56]
28 No 3 : Aussi bas que le silence [1'37]
29 No 4 : Toi ma patiente [2'00]
30 No 5 : Riant du ciel et des planètes [1'06]
31 No 6 : Le jour m'étonne et la nuit me fait peur [1'36]
32 No 7 : La menace sous le ciel rouge [4'06]
33 No 8 : Liberté [4'13]

 

De son vivant, Poulenc était probablement mieux connu pour ses morceaux pour piano frivoles. Son penchant pour l’écriture d’une musique aussi enjouée et inconséquente provint sans doute de l’épisode qui, selon lui, l’inspira à entreprendre une carrière de compositeur : enfant, il avait inséré une poignée de centimes dans un piano mécanique, et fut complètement séduit par les charmes d’un morceau de musique de salon typique (composé par Chabrier) qui émanaient de la machine. Son père, fervent catholique et homme d’affaires opulent (la firme familiale de fabricants de produits pharmaceutiques forme aujourd’hui la grande entreprise Rhône-Poulenc), souhaitait voir son fils poursuivre des études traditionnelles en musique, mais avec son décès en 1917 et le rejet de François par le Conservatoire de Paris la même année, Poulenc, alors âgé de dix-huit ans, commença à se rebeller à la fois contre l’établissement musical français et, dans une moindre mesure, la foi catholique. Il n’en fut certainement pas dissuadé par sa mère, elle-même pianiste accomplie et membre acharné de la haute société parisienne. En fait, ce fut sa mère qui lui donna ses tout premiers cours de musique et, à part quelques leçons de piano en plus de cela, données par Ricardo Viñes, il ne reçut aucune éducation musicale réellement conventionnelle jusqu’au jour où, après avoir fini son temps de service militaire obligatoire, il fut engagé comme élève compositeur par Charles Koechlin, avec qui il étudia de 1921 à 1924. Ce fut Koechlin qui lui apprit à écrire pour les voix et qui lui permit, en 1922, de composer son premier morceau pour chœur, Chanson à boire, mise en musique d’un texte anonyme du XVIIe siècle qui fait l’éloge de la boisson. Mis en partition pour un chœur masculin à quatre voix, ce morceau est typique de ce que l’on aurait pu décrire comme la tendance «voyou» de Poulenc, car il dégénère en une imitation outrageuse de l’ivresse dans les dernières mesures. Il est plutôt regrettable qu’il ait choisi ce texte en particulier, car on interdit au Harvard Glee Club, pour lequel il avait été écrit, de le jouer durant la période du Prohibitionnisme, qui balayait alors l’Amérique.

Sans la mort du compositeur Pierre-Octave Ferroud durant l’été 1936, il aurait sûrement continué à se complaire dans l’hédonisme musical et la frivolité. Ferroud était non seulement un ami proche, mais aussi, à travers les concerts bimensuels qu’il organisait à Paris, un promoteur actif de la musique de Poulenc. L’horreur de la mort de Ferroud (il fut décapité dans un accident de voiture), conjuguée au fait qu’il était en réalité un an plus jeune (presque jour pour jour) constituèrent un choc cruel pour Poulenc. Deux jours plus tard, il partit visiter la chapelle consacrée à la Vierge Noire à Rocamadour, village situé dans la région montagneuse entre l’Auvergne et la Méditerranée : contrée, soit dit en passant, dont la famille de son père était originaire. Brusquement confronté à la réalité de l’immortalité, et recherchant un sens plus profond à la vie, Poulenc retrouva celui-ci à Rocamadour au réveil de sa foi catholique, si soigneusement ignorée depuis la mort de son père. Sa réaction immédiate fut d’écrire une œuvre chorale sacrée (Litanies à la Vierge Noire), et, à partir de là, la musique chorale représenta un point central dans la production de ses compositions. Il dira effectivement, peu avant sa mort en 1963 : «Je pense que j’ai mis la meilleure et la plus sincère partie de moi-même dans ma musique chorale. Si quelqu’un est encore intéressé par ma musique dans cinquante ans, ce sera pour ma musique chorale plutôt que celle pour piano.» Immédiatement après sa visite à Rocamadour, Poulenc écrivit successivement deux autres œuvres pour chœur, Petites voix, une mise en musique des vers de Madeleine Ley pour trois voix d’enfants (chantées dans cet enregistrement par des voix de femmes), et Sept chansons basées sur les textes surréalistes d’Apollinaire, Eluard et Legrand (dont le texte, «La Reine de Saba», fut rejeté en faveur de «Blanche neige» après la première interprétation de l’œuvre). On trouve là le côté plus sombre, plus sérieux de Poulenc, avec un langage musical qui, parfois, semble fouiller dans les profondeurs de la désolation. (En mettant en musique les dernières lignes de «A peine défigurée», Poulenc dut sûrement avoir sans cesse présentes à l’esprit les conditions de la mort de Ferroud.) Cependant, il ne parvint jamais à se défaire de la frivolité de sa jeunesse et, quoiqu’il existe une veine beaucoup plus profonde, plus sérieuse dans la musique écrite après 1936, les deux côtés très contrastés de sa personnalité (un contemporain le décrivit comme étant «mi-moine – mi-voyou») coexistent dans toute sa musique dans une plus ou moins grande mesure.

Les années noires de la Seconde Guerre mondiale et l’occupation nazie de Paris eurent, naturellement, un effet profond sur Poulenc. Il resta à Paris, mais trouva ses propres moyens de résistance à travers les poèmes de Paul Éluard, qu’il avait rencontré pour la première fois en 1917. Au fil des premières années de l’occupation, Poulenc recevait des copies manuscrites des poèmes qui constituent la Figure humaine. Ceux-ci, et particulièrement le poème culminant de la fin, «Liberté», qui avait été envoyé en Algérie en contrebande pour être imprimé, et dont les copies furent ensuite lâchées par milliers au-dessus de la France par la Royal Air Force, devinrent une espèce d’hymne pour le mouvement de la Résistance. Poulenc brûlait tant d’enthousiasme pour la poésie d’Eluard qu’il interrompit tous ses autres travaux – y compris un concerto pour violon qui ne devait jamais voir le jour – pour composer une mise en musique qui pourrait être interprétée dès que la France serait libérée. Il écrivit Figure humaine en six semaines durant l’été 1943, fit imprimer l’œuvre en secret, et, dit-on, en aurait exposé fièrement une copie sur sa fenêtre tandis que les troupes alliées marchaient à travers les rues de Paris. Cependant, sa première interprétation eut lieu à Londres en janvier 1945, et elle fut chantée en anglais par le Chœur de la BBC, sous la direction de Leslie Woodgate – il fallut attendre 1947 pour la première française, qui fut dirigée par le chef d’orchestre et musicologue Paul Collaer. Avant cela, néanmoins, il avait continué à mettre en musique d’autres textes d’Eluard, comme Un soir de neige, sous la forme d’une cantate de chambre pour chœur à six voix. Écrite principalement le jour de Noël 1944, elle reflète ce que l’intellectuel américain Keith Daniel décrit comme étant «à la fois ce sentiment intérieur de paix engendré par la fête de Noël et cette triste solitude d’un autre hiver passé sous l’Occupation en France». Le texte est peut-être profane, mais pour Poulenc, il n’existait pas d’impression de division entre le profane et le sacré; tout ce qu’il entreprenait était une expression de foi religieuse et, à ses yeux, être français et être catholique étaient deux concepts presque synonymes – son côté résolument français et sa foi désormais inébranlable ne faisaient qu’un.

Poulenc célébra la fin de la guerre en 1945 avec les Chansons françaises, mises en musique de huit chansons folkloriques françaises courtes et gaies. Comme ceux de l’une de ses idoles musicales, Stravinsky, les arrangements de Poulenc de musiques anciennes préservent peut-être les mélodies originales, mais ils possèdent un langage harmonique et un caractère musical d’une particularité unique. L’énergie absolue et la joie de vivre de chansons aussi terre à terre que «Clic, clac, dansez sabots» et «Pilons l’orge» sont des exemples de «Poulenc le voyou» – quoique d’une façon beaucoup plus discrète que la Chanson à boire – tandis que «Poulenc le moine» se tient sans difficulté à leurs côtés, dans des chansons telles que «C’est la petit’ fill’ du Prince», qui évitent de justesse le genre de sensiblerie superficielle que, vers la fin de son adolescence, Poulenc n’aurait probablement été que trop désireux d’exploiter.

Marc Rochester © 1995
Français : Catherine Loridan