Chant des partisans

 


Dominique Bona
Les Partisans
Joseph Kessel / Maurice Druon
Gallimard (9 mars 023)
ISBN-13 : 978-2073015549

 


Anna Marly / Germaine Sablon
Youtube

« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds (Le chant lourd) du pays qu'on enchaîne ?
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme.
Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes.

Montez de la mine, descendez des collines, camarades !
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades.
Ohé, les tueurs à la balle et au couteau, tuez vite !
Ohé, saboteur, attention à ton fardeau: dynamite...

C'est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères.
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère.
Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves.
Ici, nous, vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève...

Ici chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe.
Ami, si tu tombes un ami sort de l'ombre à ta place.
Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
Sifflez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute...

Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu'on enchaîne ?
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? »

Écriture à Londres des paroles françaises du « Песнь партизан » (Chant des partisans)

© Musée de la Légion d’honneur/ECPAD

« Chaque fois que j’entends Le Chant des partisans, j’ai les larmes aux yeux, et encore tout récemment je me demandais pourquoi l’on parlait si souvent de l’auteur des paroles et peu du compositeur ? Pourtant, c’est la musique si bien accordée qui lui donne toute sa valeur et sa force émotionnelle. »
(Simone Veil). Qui est donc le compositeur – ou plutôt la compositrice de ce chant, d’abord écrit par elle en russe ? Anna Marly. Russe, née à Saint-Pétersbourg pendant la révolution d’octobre 1917, réfugiée en France avec sa mère, sa sœur et sa nourrice, qui lui offre une guitare à l’âge de 13 ans, Anna Bétoulinsky a d’abord été danseuse à Paris, sous le nom d’Anna Marly, nom qu’elle s’est choisi dans l’annuaire, tout en commençant à interpréter avec sa guitare ses premières chansons dans un cabaret – elle est la benjamine de la SACEM en 1939.
Après mai-juin 1940, en passant par l’Espagne et le Portugal elle réussit à gagner Londres, où elle s’engage comme volontaire bénévole à la cantine du quartier général de la France libre à Londres (voir son laissez-passer). Tout en chantant le soir dans des cafés, mais aussi au micro de la BBC, dans l’émission «Les Français parlent aux Français». Fin 1942, après avoir lu le récit de la bataille de Smolensk de 1941, le mot « partisans » la frappe : «Bouleversée, je prends ma guitare, je joue une mélodie rythmée et sortent tout droit de mon cœur ces vers en russe
« De lisière en lisière/La route court/Le long d’un précipice./Là-haut, quelque part,/Le croissant de lune vogue/Se pressant…/Allons là-bas/Où le corbeau ne vole pas,/Où aucun animal ne pénètre./Personne, aucune force/Ne nous soumettra,/Ne nous chassera./Vengeurs du peuple,/Nous repousserons/La force mauvaise./Que le vent de la liberté/Recouvre/Notre tombe…/Nous irons là-bas/Et jusqu’au bout, détruirons/Les réseaux ennemis./Que nos enfants sachent/Comme nous fûmes nombreux/À tomber pour la vérité ! »
(traduction de Sarah P. Struve).


Le manuscrit original des paroles françaises du « Chant des partisans »
écrites par Maurice Druon et Joseph Kessel.

La marche des partisans est née, en 1942, qu’Anna Marly interprète elle-même en russe. L’entendant à Londres, Joseph Kessel, qui avait aussi rejoint les Forces françaises libres, réagit enthousiaste : « Voilà ce qu’il faut pour la France ! ». Avec son neveu Maurice Druon, arrivé avec lui à Londres en janvier 1943, il passe l’après-midi du 30 mai 1943 au pub The White Swan (Le Cygne blanc) de Coulsdon, dans la banlieue sud de Londres. Tous deux écrivent alors les paroles françaises du Chant des partisans, qui sera appelé aussi « Chant de la Libération », comme le montre la partition vendue en 1944-1945 :
Le manuscrit original de Druon et Kessel (voir ci-dessous) est aujourd’hui conservé au musée de la Légion d’honneur à Paris et classé, depuis 2006, monument historique en tant qu’objet.
Ce chant devint sans tarder un hymne populaire, surnommé « la Marseillaise de la Résistance » : le passage sifflé de la mélodie, parce que son registre aigu échappait mieux au brouillage allemand, servit en effet d’indicatif en 1943-1944 à « Honneur et Patrie », l’émission de cinq minutes de la France libre sur la BBC qui précédait « Les Français parlent aux Français » et à laquelle collaborait Maurice Druon ; en outre, les paroles furent larguées par la Royal Air Force au-dessus de la France sous forme de tracts. C’est ce même chant qu’André Malraux convoquera en achevant son discours solennel du 19 décembre 1964 pour le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon : « L’hommage d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élever maintenant, ce Chant des partisans que j’ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d’Alsace […]. Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. […] Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France. »
Joseph Kessel a également écrit jusqu’à la fin de 1943 un roman sur la Résistance, L’Armée des ombres, adapté au cinéma par Jean-Pierre Melville en 1969 ; journaliste grand reporter, il couvrira le procès de Nuremberg pour France-Soir en 1945-1946.
Anna Marly s’installera après-guerre en Amérique du Sud, puis finira sa vie en Alaska. Elle a composé plus de trois cents chansons, dont La complainte du partisan, sur des paroles du résistant Emmanuel d’Astier de la Vigerie,
et que chanteront Léonard Cohen (The Partisan) et Joan Baez, ainsi qu’Une chanson à trois temps (1947, interprétée par Édith Piaf) ; elle a aussi écrit des fables et des poèmes. « Elle fit de son talent une arme pour la France », a déclaré le général de Gaulle.


Maurice Druon et son oncle Joseph Kessel, réception au restaurant La Coupole
à Paris, Décembre 1966
© Getty / Keystone France


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