Margaret : Huguette Boulangeot
Barbara : Rosine Brédy
Betty : Jany Sylvaire
Jim : André Duvaleix
Ralph : Robert Burnier
John : André Numès fils
Georges / L’officier : Aimé Doniat
Petit Louis : René Lenoty
Roland : Dominique Tirmont
Catherine : Gabrielle Ristori
Le pasteur : Gaston Rey
Victor : Raymond Liot
Rene Lenoty
Aime Doniat
Créée aux Bouffes-Parisiens le 3 octobre 1936
Paul Misraki et son orchestre (musiciens de Ray Ventura)
Opérette " Normandie " sélection
Refrain par Paul Misraki et Bernard Géliot
Disque 78 tours Pathé PA.1.000
16 Septembre 1936
Normandie de Paul Misraki avec Duvalex Tirmont Lenoty Doniat.mp4
Concert diffusé le 7 juillet 1956
Article de Laurent Bury
Lundi 21 Janvier 2019
Début février 2019, à Compiègne et à Paris, l’ensemble Les
Frivolités Parisiennes présentera l’opérette Normandie,
œuvre de Paul Misraki. Immortel compositeur de tubes comme
« Tout va très bien, madame la marquise » ou « Qu’est-ce qu’on
attend pour être heureux », parmi tant d’autres titres, Paul
Misraki est mort il y a exactement vingt ans, et il aurait eu
110 ans cette année. Double anniversaire qui est passé un peu
inaperçu, même si le monde la chanson et de la musique de film
lui doit évidemment plus que celui de l’art lyrique. Malgré
tout, Paul Misraki composa plusieurs opérettes et comédies
musicales, dont Le Chevalier Bayard (1948), qui fut
créé par Yves Montand, Henri Salvador et Ludmilla Tcherina. En
1936, Normandie fut sa première œuvre scénique, sur un
livret dû au cinéaste Henri Decoin, les lyrics étant signés
André Hornez, co-auteur du Chevalier Bayard avec Bruno
Coquatrix. Grand succès aux Bouffes-Parisiens, Normandie
inclut l’une des chansons qui continuent de faire la gloire du
compositeur « Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine », et
l’on comprend que Radio-Lille ait eu l’idée de recréer, vingt
ans après la création, cette opérette bien troussée qui, au fil
de ses onze tableaux, promenait les spectateurs dans tous les
recoins du célèbre paquebot, du pont supérieur jusqu’à la salle
des machines…
La partition de Paul Misraki laisse entendre ce qu’aurait pu
devenir l’opérette si le destin l’avait voulu. A côté d’un
hommage à un passé révolu (« Ah comment pouvez-vous douter de ma
tendresse ? » est explicitement désigné comme « Valse 1900 »),
on y entend surtout des rythmes hispaniques (la rumba « Le vent
du large me frôle », par exemple) et surtout américains,
tendance Gershwin et déjà swing. Bien sûr, l’humour du livret a
parfois un peu vieilli : l’intrigue repose sur la présence à
bord de trois milliardaires américains, trois « rôles à
accent », façon René Koval dans Pas sur la bouche ou
dans Passionnément, ce qui n’est hélas pas très
crédible quand il s’agit de déclamer des textes truffés de jeux
de mots… La gaieté revendiquée par les chansons peut aujourd’hui
sonner comme de l’inconscience dans le contexte des années 1930,
mais il est difficile de juger le texte d’après la version
nécessairement très réduite qui en était proposée à la radio. On
relèvera malgré tout quelques chansons délicieusement coquines,
comme l’excellent « Je voudrais en savoir davantage » confié à
l’innocente Betty (« j’enrage / Quand je pense aux jeunes
mariées / Qui connaissent les derniers outrages / Quand moi
j’ignore même les premiers… »).
Pour ce genre d’ouvrage, on s’en doute, pas question de faire
appel à de grandes voix, et l’on entend ici plutôt trois
catégories d’artistes : des comiques, pour les trois Américains
et pour Catherine la « femme d’affaires » ou plutôt poule de
luxe ; des divettes d’opérette pour les trois jeunes filles ;
des chanteurs de charme pour leurs trois galants. Pour les trois
jeunes hommes, si René Lenoty faisait déjà
carrière en 1926, et n’avait donc plus tout à fait l’âge d’un
jeune premier en 1956 (d’autant qu’en 1936, Petit-Louis était
apparemment interprété par un adolescent), Aimé Doniat
et Dominique Tirmont entrent tout à
fait dans ce cadre, barytons légers alors idoles des jeunes
filles. Du côté des demoiselles, les voix sont plus ou moins
pointues, plus ou moins acidulées, mais elles ont ce charme et
ce chien qu’a la grande Mireille dans Phi-Phi, et cette
diction impeccable qui laissent rêveur de nos jours - comment
faisait donc ces artistes pour être à tout instant
compréhensibles lorsqu’elles chantaient ? A Gabrielle
Ristori échoit le tube de Normandie, dont elle
s’acquitte avec brio. Quant aux trois barbons, Duvaleix
(le père, Albert, et non le fils, Christian) était
surtout un acteur de cinéma, mais Robert Burnier
avait également fait une belle carrière dans l’opérette, créant
notamment le rôle de Kermao dans Coups de roulis ;
Numès fils retrouve ici le personnage qu’il
incarnait en 1936, tout comme Marcel Cariven
qui dirigeait l’orchestre des Bouffes-Parisiens lors de la
création.
Construit à Saint-Nazaire de janvier 1931 à septembre 1934, le Normandie n'aura
eu qu'une existence commerciale bien courte : après un lancement en grande pompe
(à l'occasion duquel Georges Thill enregistra une chanson pour les disques
Salabert*), puis une traversée inaugurale réalisée en mai-juin 1935, " le plus
grand paquebot du monde " - et le plus luxueux - devait connaître une première
carrière bientôt interrompue par la Seconde Guerre mondiale, puis une deuxième,
guère plus longue, en tant que vaisseau de transport de troupes sous le nom de
Lafayette, après sa réquisition par les États-Unis. Bien que détruit en 1946
suite à un incendie, il laissera néanmoins un souvenir mythique, celui de
l'apogée de la navigation transatlantique, et d'un sommet de l'Art Déco, avec
ses somptueuses laques de Jean Dunand, ses fresques de Dupas et ses colonnes en
verre de Lalique, sans oublier la fameuse affiche publicitaire signée Cassandre.
On peut se faire une idée de la splendeur du navire à travers les actualités
cinématographiques et magazines illustrés de l'époque, et grâce aux scènes qui
furent tournées à bord pour les films Les Perles de la Couronne (1938) et
Paris-New York (1940).
A l'automne 1936, quand le Théâtre des Bouffes-Parisiens présente une opérette
nouvelle intitulée Normandie, et entièrement située à bord du navire, le sujet
est donc encore tout à fait d'actualité. Plus connu aujourd'hui comme cinéaste
(il fait tourner à Danielle Darrieux ses premiers films, de Premiers Rendez-vous
à La Vérité sur Bébé Donge), Henri Decoin en a signé le livret. Trois
milliardaires américains, Jim, Ralph et John, regagnent New York avec leurs
filles respectives, Betty, Barbara et Margaret : la première s'est éprise à
Paris d'un liftier de l'hôtel Crillon, passager clandestin à bord du Normandie,
la deuxième tombe amoureuse d'un radiotélégraphiste, tandis que la dernière
succombe aux charmes du professeur de culture physique du paquebot.
Suivant une tradition bien établie, les " lyrics " ne sont pas d'Henri Decoin,
mais ont été confiés à André Hornez, qui se fera connaître par sa collaboration
avec Ray Ventura et son orchestre. Quant à la musique de cette opérette en deux
actes et onze tableaux, elle a été composée par Paul Misraki (1908-1998), alors
compositeur et pianiste de Ray Ventura. En 1935, il a été propulsé sur le devant
de la scène grâce au succès phénoménal de " Tout va très bien, madame la
marquise ". Normandie inspire à Paul Misraki un autre de ses chansons les plus
célèbres, " Ça vaut mieux que d'attraper la scarlatine ", qui incite elle aussi
à voir le bon côté des choses, à sourire alors même que tout semble aller mal. A
la création, l'interprète en était Suzanne Dehelly, spécialiste des rôles de "
fofolle exubérante ".
Créé le 3 octobre 1936, Normandie connaîtra 95 représentations jusqu'en janvier
1937. Dans la distribution originale, parmi des vedettes dont les noms sont
aujourd'hui bien oubliés, on remarque en Margaret l'actrice Mila Parély, qui
joue l'une des sœurs de l'héroïne dans La Belle et la Bête de Jean Cocteau
(1946), et, dans le personnage plus épisodique du Commissaire, le comédien Noël
Roquevert, un des grands seconds rôles du cinéma français. En 1936, l'orchestre
des Bouffes-Parisiens, Marcel Cariven dirigeait déjà l'orchestre, et c'est encore
lui qui assure la direction du concert donné par la RTF vingt ans après.
* La Columbia, pour laquelle Thill enregistrait, s'opposa à la sortie du disque,
dont il n'existe plus que deux exemplaires. On retrouvera cette chanson sur
notre Intégrale Georges Thill, à paraître prochainement.
Nicolas Flamel