Wiera Gran (née Weronika Grynberg), aussi connue comme Véra Gran et Mariol
20 avril 1916, Russie - 19 novembre 2007, Paris
Actrice et chanteuse polonaise.

 

 

 

 

Elle avait une beauté de Garbo, une voix de Marlene Dietrich, «elle ne laissait personne indifférent».
Dès 1926, elle se produit dans les cabarets de Varsovie. À vingt-trois ans, déjà célèbre, elle chante dans le ghetto, accompagnée par le pianiste Wladyslaw Szpilman qui l'accompagna pendant plus d’un an au cabaret le "Sztuka", dans le "Broadway juif". Ses succès lui apportent beaucoup d’argent et le goût du luxe. En 1939, elle fuit avec un jeune médecin, son futur mari, à Vilnius, puis en mars 1940 à Lvov, alors occupée par les Soviétiques, et refuge d’une partie des exilés varsoviens.
Elle rentre à Varsovie en mars 1941, sur les conseils de sa mère. Elle se produit dans les cafés du ghetto, particulièrement au Sztuka, souvent accompagnée par Janina Pruszycka. Elle y rencontre évidemment des individus peu fréquentables, truands, collaborateurs, Groupe 13…
Elle fuit Varsovie le 2 août 1942, deux mois après les premiers convois vers les camps d’extermination. Elle rejoint 1943 son mari dans la ville de Babice, libérée par l’armée rouge en janvier 1945.

Après la guerre, elle est plusieurs fois accusée de crimes de collaboration avec l’occupant nazi. Même si les tribunaux, y compris juifs, la gracièrent de toutes accusations, celles-ci ont continué leur œuvre destructrice. La calomnie se propage. Wiera Gran est littéralement chassée d’Israël par ces rumeurs. Elle devient indésirable à Varsovie, Caracas, Mexico, Londres. Elle se produit cependant à Paris, New-York, Varsovie. Elle en souffrit toute sa vie, même si elle se produisit encore partout, y compris au Carnegie Hall de New York, terminant sa vie à Paris en 2007, seule, malade et paranoïaque.

Wiera Gran, chanteuse maudite du ghetto
Le Temps (Belgique)

Au café Sztuka, dans le ghetto de Varsovie, on vient tromper la faim et la peur en écoutant des chansons romantiques. Weronika Grynberg, de son nom d’artiste Wiera Gran, en est une des vedettes. Sa destinée serait tombée dans l’oubli si un livre n’était venu l’en tirer, paru en Pologne il y a quelques semaines, avant de sortir en français en ce début d’année. Agata Tuszynska s’est prise d’empathie pour la chanteuse, qu’elle a rencontrée régulièrement dans les dernières années de sa vie, à Paris, jusqu’à sa fin en 2007. De ces rencontres est issu un «docu-fiction», qui tient du récit, de la biographie, du témoignage. Universitaire, journaliste, essayiste, Agata Tuszynska a raconté, dans Une Histoire familiale de la peur (Grasset, 2006), comment sa mère avait occulté ses origines juives et les mois passés dans le ghetto. Un secret de ­famille qui l’a sensibilisée à la question de la vérité, qui est au cœur de ce nouveau livre, au statut incertain. Et qui, en Pologne, plus de soixante ans après les faits, provoque encore le scandale.

En 1945, Wiera Gran est accusée d’avoir entretenu des «rapports d’amitié» avec des agents de la Gestapo. Elle sera jugée, acquittée, mais jamais vraiment innocentée. Toute sa vie, la rumeur la poursuivra, jusque dans les délires de la vieillesse, quand sa biographe la rencontre, recluse dans son appartement parisien, enfermée avec ses griefs et ses peurs, derrière des murailles de paperasses et d’archives, prise entre le désir de se faire entendre et la haine du monde. Que dit-elle, au cours de ces entretiens souvent incohérents? Qu’elle est harcelée, épiée par des ennemis qui cherchent à la dépouiller pendant son sommeil.

Si ses pauvres souvenirs éveillent encore un écho si fort, c’est que ses griefs se concentrent sur la personne de son accompagnateur au café Sztuka, ­Wladyslaw Szpilman. Il compose la musique de ses chansons, ils travaillent ensemble, doivent parfois obéir aux invites des ­Allemands qui leur demandent de se produire en dehors du ghetto. Ils survivront tous deux. «A quel prix?» est la question implicite. Wiera s’enfuit en 1942, se cache hors de la ville, grâce à son mari médecin. Szpilman connaît le destin étonnant qu’a révélé le film de Polanski, Le Pianiste (2002). Il devient un héros national. Jamais il ne fera allusion à la chanteuse; ce silence, son absence du film, Wiera Gran les ressent comme un assassinat symbolique, la négation de ce qu’elle a été ou veut avoir été. Sa paranoïa s’en nourrit. Devant Agata Tuszynska, elle laisse éclater sa rancœur en termes violents. Elle l’avait déjà insinué dans un ouvrage auto-édité en 1980: c’est Szpilman, le collaborateur, lui qui aurait appartenu à la police juive du ghetto. Pour défendre la mémoire de son père, décédé en 2000, le fils du pianiste a porté plainte.

Le héros de Polanski avait-il des choses à se reprocher? Pourquoi a-t-il refusé de donner du travail à la chanteuse après la guerre, que s’est-il passé entre eux? Ils sont morts tous les deux, et ce n’est pas le livre d’Agata Tuszynska qui va résoudre ces énigmes. Sa méthode, passionnelle, engagée, ne le permet pas. Elle n’a pas fait travail d’historienne bien qu’elle ait rencontré des témoins, de plus en plus rares, et qu’elle cite de nombreuses archives. La figure de Szpilman n’est même pas centrale, même si elle fait un bon argument de vente. Non, ce qui intéresse la biographe, c’est la pugnacité de Wiera Gran, l’obstination parfois pathétique de cette femme qui n’est pas particulièrement sympathique ni attachante. Et à travers son combat brouillon, cette question sans réponse: qu’aurions-nous fait à sa place? Qui nous permet de juger, des décennies plus tard, à partir de lambeaux de mémoire contradictoires, érigés en vérité, quand le seul fait d’avoir survécu rend suspect?

Les témoignages se contredisent, se modifient au fil du temps. Marek Edelman, un des leaders du soulèvement du ghetto, d’abord très sévère à l’égard de la chanteuse, se montre beaucoup plus amical par la suite, moins enclin à porter des jugements. Pour certains, Wiera Gran a joué un rôle social important dans le ghetto (elle-même se peint volontiers en bienfaitrice). Pour d’autres, elle est une «pute pour gestapistes». Paranoïaque, certes, à la fin de sa vie, la chanteuse n’en est pas moins persécutée. Quand elle quitte la Pologne, en 1950, laissant derrière elle le mari qui l’a protégée, le pays qui la rejette et la douleur de n’avoir pas pu sauver sa mère ni sa sœur, c’est pour émigrer en Israël, où elle est tout sauf bienvenue. Longtemps, elle entretiendra le pathétique espoir de se faire reconnaître dans ce qu’elle considère comme sa patrie. Mais Yad Vashem refuse son témoignage. Les associations d’anciens déportés menacent de la lyncher si elle se produit sur scène. Ses amis, son mari, ses avocats lui conseillent de laisser tomber. Elle ne les écoute pas. Où qu’elle aille, la rumeur la rattrape: Caracas, New York, Paris. Elle connaîtra quand même quelques succès, chantera avec Aznavour. Mais dès 1971, elle renonce à la scène, après une dernière tentative en Israël. Elle finit dans la solitude et le délire. Agata Tuszynska a voulu lui rendre une dignité. Son livre se lit avec intérêt, mais il laisse un goût amer.

http://www.veragran.com/Vera_Gran/Vera_Gran_France.html

Agata Tuszyńska : Wiera Gran, l'accusée
Traduit du polonais par Isabelle Jannès-Kalinowski
Grasset, 416 p. (2011)
ISBN : 978-2-24673-041-5

 

 

 

 

Wiera Gran (wł. Grynberg) (20.04.1916 Rosja - 19.11.2007 Paryż)
Muzyka wspomnień
Teddy Records TRCD1018

Enregistrements 1934-1951
Nagrania Syrena-Electro, Odeon, Ballada
2011

 

 

Legendary Wiera Gran
Polskie Nagrania PNCD1215 - Muza (MP3)

2010