Des prisonniers du camp de Drancy en train de charger des pianos spoliés à des familles de déportés
© Bundesarchiv
Les instruments de musique et documents musicaux spoliés par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale n’ont pas fait l’objet du même effort de recherches que les autres œuvres d’art. L’association "Musique et spoliations", initiative inédite, tente de réparer cette injustice.
Les objets d’art spoliés par les nazis et retrouvés des années
plus tard ont beaucoup fait parler d’eux. On peut citer l’incroyable
trésor que cachait un octogénaire dans son appartement de Munich, 1
406 œuvres d’artistes renommés confisqués à des familles juives
pendant la guerre. Il y a notamment eu des films comme Monuments
men ou La Femme au tableau pour populariser ces
recherches auprès du grand public. Mais quid des
instruments de musique et des documents musicaux ? L’association
Musique et spoliations,
récemment créée par deux femmes dont
Pascale Bernheim, fait de leur identification sa
vocation. Elle travaille depuis longtemps dans le milieu culturel,
notamment au musée du Louvre ou pour de nombreux festivals de
musique et fondations. L’objet de cette association est la suite
logique de son engagement artistique, reconnaît-elle.
Après une rencontre avec Corinne Hershkovitch,
avocate spécialisée dans la restitution des œuvres d’arts, Pascale
Bernheim se prend de passion pour ce pan méconnu de la guerre. «
Je n’avais jamais entendu parler de cet aspect des œuvres d’art
spoliés. Très peu de gens ont travaillé sur le sujet » se
souvient-elle. Rapidement elle prend connaissance de l’existence
d’une cellule consacrée aux biens musicaux au sein de l’Einsatzstab
Reichsleiter Rosenberg (ERR), l’unité spéciale du régime nazi qui,
de 1940 à 1944, était chargée de repérer, de saisir et de rapatrier
en Allemagne, les objets artistiques de valeur. L’organisme avait
surtout pour but de faire disparaître toute trace de l’héritage
culturel juif en Europe. Ce Sonderstab Musik ou
commando musique avait pour mission d’évincer les acteurs juifs
du monde musical , de mettre la main sur les instruments de musique
ainsi que sur les manuscrits et ouvrages musicaux du répertoire
allemand détenus notamment par les personnes visées par les lois
anti-raciales.
Si l’inventaire de l’ERR a permis la recherche et la restitution
d’œuvres d’art à des familles juives, personne ou presque ne s’est
intéressé au sort des instruments de musique s’étonne Pascale
Bernheim. Elle cite Willem de Vries, musicologue néerlandais, auteur
du rare ouvrage sur le sujet « The Sonderstab Musik of the
Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg 1940 – 1945 » que
l’association s’attèle à faire traduire en français. « Ce sera
le point de départ véritable de notre association, faire connaître
au grand public l’existence de ces spoliations liées à la musique
» affirme Pascale Bernheim, qui est actuellement en discussions avec
une maison d’édition. Un exemple illustre assez bien le manque de
recherches sur ce domaine : le nombre de pièces siglées MNR au musée
de la musique à Paris. MNR pour « Musées nationaux récupération »,
c’est-à-dire, les biens spoliés dont le propriétaire n’a pas été
retrouvé. Ils sont alors confiés aux musées nationaux sous un statut
particulier qui permet aux ayants droit de se manifester. Seulement
deux instruments de musique sont répertoriés sur cette liste de plus
de 2 000 œuvres.
Pascale Bernheim explique que les si les instruments spoliés sont
si peu répertoriés c’est que pour la plupart, ils n’ont pas suivi le
même chemin que les œuvres d’art. « Beaucoup d’instruments ont
été emportés par leur propriétaires qui fuyaient le régime nazi ou
qui ont été déportés en camp. Ils pouvaient servir à payer des
passeurs pour se réfugier en zone libre, ce qui explique pourquoi on
retrouve des instruments dans les greniers du sud-ouest de la
France. Certains instruments ont été confisqués sur place sans
qu’ils ne fassent l’objet d’un archivage. D'autres ont été confiés à
des amis mais jamais récupérés. Enfin, certains dorment peut-être
encore dans des coffres dont tout le monde ignore encore l'existence
à ce jour ».
En s’intéressant de près aux archives du musée de la musique,
Pascale Bernheim a pu constater que le marché des instruments de
musique, comme celui des œuvres d’art a été particulièrement actif
durant les années de guerre. Certains instruments venant de France
se sont retrouvés entre les mains des musiciens du Reichs Bruckner
Orchester, un orchestre de propagande financé par le Reich, situé à
Linz en Autriche et actif de 1942 à 1945. Ces instruments auraient
été acquis par un luthier allemand auprès d’un confrère français.
Pascale Bernheim rappelle l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la
nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son
contrôle, qui précise : « cet avertissement s'applique tant aux
transferts ou transactions se manifestant sous forme de pillage
avoué ou de mise à sac, qu'aux transactions d'apparence légale, même
lorsqu'elles se présentent comme ayant été effectuées avec le
consentement des victimes. »
La cofondatrice de l’association Musique et Spoliations estime
malgré tout qu’il y a peu d’espoir de restitutions d’instruments de
musique. Il y eut notamment quelques affaires, comme celle du
violoncelle Stradivarius de Gregor Piatigorsky retrouvé facilement
en 1954 puisqu’il faisait partie de la collection Rothschild, ou
plus récemment un instrument retrouvé dans un musée allemand et
restitué à ses héritiers. Mais la plupart des instruments, notamment
de la famille des cordes, n’ont pas retrouvé leur propriétaire.
C’est toujours le cas de ce supposé violon Stradivarius offert à la
violoniste japonaise Nejiko Suwa par Joseph Goebbels. La musicienne,
morte en 2012, ainsi que son neveu qui a hérité de l’instrument, ont
toujours refusé de s’exprimer sur les origines du violon. On peut
également citer le cas de l’importante collection d’instruments et
de manuscrits de Wanda Landowska, claveciniste polonaise illustre
installée à Paris, qui fut intégralement pillée par les nazis. Si
une partie de ses biens ont été retrouvés, on ignore totalement ce
qui est advenu du reste.
Les recherches concernant les instruments de musique ne sont pas
très nombreuses, c’est qu’il est en effet très compliqué de fournir
des preuves d’appartenance. « Par exemple, les tableaux
restaient accrochés aux murs et il était donc facile de les
apercevoir sur des photos de famille ». La tâche est loin
d’être simple tant il y a peu de témoignages ou de traces de ces
instruments. Pascale Bernheim entreprend ses recherches dans les
collections d’instruments des musées et leurs archives, dans les
Archives Nationales, et recueille les témoignages directs ou
indirect. Elle estime également qu’il serait intéressant de
connaître l’ampleur des pillages qui ont eu lieu à la Bibliothèque
nationale de France dans les rayons partitions et manuscrits.
« Il arrive que des familles se demandent un jour comment ce
piano ou ce violon est arrivé chez eux. Ce sont des gens de bonnes
intentions qui ne se sont jamais posé la question auparavant »
explique Pascale Bernheim. Elle porte également son attention sur
les ventes aux enchères car de « nombreux instruments ressortent
ces dernières années ».
Des instruments prestigieux qui
dormaient sagement dans des coffres pour ne pas attirer l’attention.
Elle espère d’ailleurs obtenir des subventions pour faire grossir
l’association et de susciter l’intérêt des chercheurs. Elle compte
également créer un comité d’honneur en s’entourant de musiciens,
d’historiens, de musicologues, de luthiers, d’artistes, etc. Pascale
Bernheim espère également trouver des fonds auprès de la Fondation
pour la mémoire de la Shoah ou de la Claims Conference, une
organisation internationale d’indemnisation des victimes juives du
nazisme.
Pour Pascale Bernheim, il n’est pas question de «
vengeance ou de revanche. C’est avant tout un devoir de mémoire,
d’autant plus que les témoins de cette terrible époque disparaissent
peu à peu. Je souhaite redonner une identité à ces instruments et
retracer leur histoire et ainsi de rendre hommage aux personnes
spoliées ».
L’association s’est fixée les missions suivantes :
Établir et/ou croiser les listes :
• Instruments confisqués dans tous les pays occupés
• Instruments portés disparus
• Rassembler toutes les demandes de restitution enregistrées
• Instruments vendus sous la contrainte en raison des lois antisémites.
• Instruments vendus par l’état
• Instruments restitués
Explorer les documents suivants :
• En France, Archives Nationales, Archives de Paris, Caisse des dépots et
Consignations, Vente des Domaines…
• Archives russes, allemandes, autrichiennes, belges, néerlandaises, suisses
• Archives des marchands et facteurs d’instruments.
• Archives des principaux conservatoires, orchestres et musées d’instruments
• Avoirs en déshérences
• Inventaires des grandes collections d’instruments Recueillir et
enregistrer les témoignages des derniers survivants de cette époque :
marchands, musiciens, experts, commissaires priseurs, fonctionnaires de
l’administration, conservateurs…
Créer une plateforme pour centraliser toutes les informations relatives
aux instruments spoliés
Animer un forum d’échanges.
Communiquer afin de :
• Sensibiliser la communauté musicale et scientifique
• Favoriser la circulation des informations
• Susciter la prise de conscience des ayant-droits
• Enregistrer d’éventuelles nouvelles demandes de restitution