Claude Bessone
Bil Spira
De Vienne-la-Rouge aux camps d'internement français
Caricatures, dessins...
1932-1942

Préface Serge Klarsfeld
Avant-propos Marie-José Chombart de Lauwe, déportée-résistante, présidente de la FMD.
Tirésias - Collection : Lieu est mémoire No.4 (210 pages)
ISBN : 978-2-915293-51-7
30/05/2011
Ce livre est consacré à Bil (Wilhelm) Spira - alias Willy Freier / Cinquante / Capra (né le 25 juin 1913 à Vienne, Autriche-Hongrie - décédé le 1er août 1999 à Puteaux, près de Paris, France)
Il fut un caricaturiste de talent, connu en Autriche au début des années trente. Ce jeune dessinateur juif viennois, issu de la classe moyenne, s’est fait un nom dans la presse sociale-démocrate, avant l’Autriche austro-fasciste.
Il a travaillé au Wiener Tag et au journal social-démocrate Arbeiter-Zeitung, où il croque d'un trait incisif les personnalités politiques de l'ère Dollfuss. Il devient aussi le décorateur du jeune auteur Jura Soyfer dans les cabarets de Vienne-la-Rouge, les fameux «théâtres des catacombes» de la clandestinité, devant 49 personnes - en raison de la censure préalable imposée pour tout spectacle rassemblant au moins 50 personnes - mettant une fois de plus ses talents d'humoriste au service de la satire politique.

L'annexion de l'Autriche en mars 1938 met un terme définitif à ces différentes activités semi-clandestines, ainsi qu'à la collaboration de Spira et de Soyfer. Arrêté alors qu'il tente de fuir en Suisse, Soyfer sera déporté à Dachau puis à Buchenwald où il mourra du typhus en 1939.
Licencié du Wiener Tag peu après l'annexion de l'Autriche et incarcéré quelque temps dans une école de Vienne, Bil Spira, Juif et social-démocrate, va réussir à échapper à la déportation, en gagnant la France qu'il connaissait déjà d'un précédent séjour.
La France, traditionnelle terre des libertés, ne réserve pas aux émigrés antifascistes, classés «étrangers suspects», voire «étrangers indésirables», le sort qu'ils avaient espéré. De l'été 1938 jusqu'à l'automne 1939, Bil Spira connaîtra d'abord une première période de semi-liberté avec l'assignation à résidence dans une petite ville de l'Est parisien, Lagny-sur-Marne. Bil Spira passe en réalité le plus clair de son temps à Paris, logeant au quartier latin, où il partage la chambre d'un ami auteur de théâtre viennois, Erich Eli. Alors que la menace de guerre croît de jour en jour, la capitale française fourmille en effet d'exilés autrichiens et allemands, qui ont fui l'Allemagne nazie. Bil Spira ne tarde pas à rejoindre un des cercles de ces exilés parmi lesquels se trouvent de nombreux écrivains et artistes, et va à son tour hanter le Café de la Poste, rue de Tournon, immortalisé par Joseph Roth. Bil Spira y réalisera de nombreux dessins de ses compatriotes en exil, parfois inconnus, parfois célèbres, laissant transparaître l'angoisse ces exilés sentant l'étau se refermer sur eux. Sur ces esquisses brossées sur le vif, auteurs et acteurs des cabarets viennois côtoient artistes et journalistes, comme Stefan Fingal, qui avait travaillé avec Joseph Roth au Arbeiter-Zeitung et que ce dernier appelait «mon ami Fingal», ou encore Soma Morgenstern, qui racontera l'épisode des rencontres au Café de la Poste dans son livre Fuite et fin de Joseph Roth.
Il va connaître les camps d’internement français à partir de l’automne 1939. (Roland Garros, Athis-de-l’Orne, Damigny, Meslay-du-Maine, Montluçon)
Libéré en tant que prestataire, il va séjourner à Marseille. Il y rencontre Varian Fry. Dénoncé et de nouveau arrêté; il séjourne au camp du Brébant (Marseille) et finalement au Camp répressif du Vernet.

Les dessins réalisés par Bil Spira dans ces camps (1939-1942) sont présentés ici aux côtés des dessins de presse publiés en Autriche avant guerre dans le journal social-démocrate Arbeiter-Zeitung (1932-1934), dans lequel le caricaturiste fustige, souvent de manière prémonitoire, la situation politique de l’époque. Ce livre contient aussi « La Chanson de Damigny » * (document inédit), pastiche musical écrit par Bil Spira au camp de Damigny, en collaboration avec son ami Maximilian Schulz, auteur et acteur des cabarets viennois. L’accompagnement musical était exécuté par Karl Engel, le pianiste du fameux groupe des Comedian Harmonists, interné lui aussi. Des extraits des mémoires de Bil Spira (publiés en Autriche en 1997) évoquent la période des internements, puis de sa déportation et de sa libération. Des extraits d’une interview de Bil Spira par Pierre Sauvage, président de la Fondation Varian Fry, évoquent l’exode de juin 1940 et la fabrication de faux papiers à la demande de Varian Fry, responsable du Comité de Secours Américain.

Cet épisode sera interrompu brutalement par l’arrestation de Bil Spira, son internement dans le camp répressif du Vernet-d’Ariège, puis sa déportation vers les camps hitlériens le 4 sept 1942 jusqu'en 1945. (Haute-Silésie - Sacrau, Laurahütte, Blechhammer - Gross-Rosen - Buchenwald - Theresienstadt). Après avoir survécu à l’évacuation du camp de Buchenwald et aux Marches de la Mort, en avril 1945, il sera rapatrié après la Libération en France, où il demeurera jusqu’à sa mort en août 1999. Par ses dessins, arrivés jusqu’à nous, Bil Spira s’est fait le mémorialiste des « camps de la honte ». (Anne Grynberg) Le livre se termine par un chapitre dédié à l’« histoire postale » des camps qui documente les camps d’internement français à travers le courrier écrit par les internés ou adressé aux internés. Le livre "Bil Spira de Vienne-la-Rouge aux camps d’internement français…" offre aux nouvelles générations l’expression d’un vécu complément indispensable des connaissances historiques sur cette période de l’histoire désormais mieux appréhendée. (Marie-José Chombart de Lauwe)

Claude Bessone, maître de conférences habilitée en civilisation germanique, est spécialiste des représentations visuelles de l'histoire allemande et de l'iconographie concentrationnaire. Elle enseigne au Département de LEA à l'Université Paris Est - Créteil Val de Marne. Auteure d'ouvrages sur le cinéma allemand, les dessins de l'exil et de l'internement, les mémoriaux de la déportation (Éditions Tirésias).

* Jean-Marie Winkler (PR, ERIAC) : mémoire des camps d’internement français. « Un jour à Damigny » (1940) pastiche musical de Bil Spira et Maximilian Schulz

  Bil Spira : Autoportrait (1930)
 © Collection Oliver Bentz