Jacques Hélian
Lady Be Good
http://jacques-helian.pagesperso-orange.fr/Jacques-Helian-et-le-jazz.htm

 

 

 

 

At the woodchopper’s ball
The Cossack patrol
Strutting with some barbecue
Tout à fait fou
Voilà ce que c’est
St Louis blues
Prisoner of love
Tush
Spruce juice
Lady be good
When your lover has gone
A la Kenton
Dansez Macumba
Lullaby of Birdland
If
Always
Sluefoot
Caravan
Etranger au paradis
Train boogie
Est-ce un péché?
Ponsay
Dusk
On the stage
Vieille canaille ("You Rascal You").

SPECIAL JACQUES HELIAN "A LA KENTON": LE LIVRET

Trois recueils déjà parus dans la collection "Jazz Time" sous le titre de "Jazz de Scène" n'auront pas manqué de familiariser les amateurs avec ces grandes machines à spectacle, que l'on peut aussi appeler "orchestres de music-hall", et qui ont tenu le haut du pavé, en France et ailleurs, de la fin des années vingt à celle des années cinquante. La plupart des grands noms du genre se retrouvent au fil de ces volumes: Grégor, Ray Ventura, Jo Bouillon, Fred Adison, Raymond Legrand... On a même pu, ça et là, y débusquer quelques jazzmen de première classe (Michel Warlop ou Alix Combelle) tentés par l'élargissement de leur répertoire, puisque, aussi bien, il n'existe aucune cloison étanche entre les spécialités de ces groupes et le jazz proprement dit.
Un nom, cependant, ne figure pas dans ces disques: celui du dernier grand représentant de ce courant si populaire qui permit au grand public une approche plus facile du jazz. Il s'agit, bien entendu, de Jacques Hélian, qui connut une énorme célébrité pendant un peu plus de dix ans, du milieu des années quarante jusqu'en 57-58. Mais sa discographie est si abondante et il s'y trouve tellement de faces donnant à entendre de l'excellent jazz qu'il eut été dommage de ne point lui consacrer un album spécial. Le voici donc, et ce "Special Jacques Hélian" peut également être considéré comme le volume 4 de la série des "Jazz de Scène"...
Les "Jazz de Scène", Jacques Hélian - de son vrai nom Jacques Mikaelian (origine arménienne), né à Paris le 7 juin 1912 - les connaissait d'ailleurs fort bien pour les avoir assidûment fréquentés de l'intérieur avant de monter le sien propre Il fait de fort sérieuses études à l'école dentaire, mais comme son beau-frère s'appelle Raymond Legrand, joue du saxophone et écrit des arrangements pour divers orchestres, le petit Jacques tombe sous le charme et se met, lui aussi, dès le début des années trente, à taquiner le saxophone. Il fait ses débuts professionnels au sein des "Cadets" de Roland Dorsay en 1932, enregistre ses premiers disques avec ce groupe pour la maison Salabert et, à sa dissolution en 1934, passe dans la formation éphémère de son beau-frère. Bientôt, cet orchestre devient les "Vagabonds du Jazz" et Hélian y reste près de deux ans. On le trouve ensuite chez Bernard Hilda ou à la tête de petites unités de son cru. Par la suite, il apprend vraiment le métier chez Jo Bouillon et surtout chez Ray Ventura (1936/37). A son retour du service militaire, c'est Ray qui lui déniche une bonne affaire: des émissions publicitaires pour des fabricants de parures féminines, sur l'antenne du Poste Parisien. Sous contrat avec une autre firme et une autre station de radio, Ray ne peut les accepter pour lui-même. Alors, il pense au jeune Hélian, lequel fonde son premier vrai orchestre et enregistre ses premiers disques sous son nom. Paulette, chanson un peu leste extraite d'une revue du Casino de Paris, provient de la toute première séance, le 28 novembre 1938, et ressortit tout à fait de l'esthétique des Jazz de Scène, celui de Ventura en tête, comme il se doit. Celui-ci, du reste, grava aussi cet air (de même que Maurice Chevallier), mais la version d'Hélian semble plus "hot", probablement grace aux interventions de ce remarquable trompettiste que fut Alex Renard... On se doit de préciser qu'à cette époque, outre les radios, Hélian sert aussi souvent de "doublure" à Ventura lorsque celui-ci, surchargé d'engagements, ne peut répondre à la demande. Toutes ces belles combinaisons s'effondreront d'un seul coup avec la mobilisation générale de septembre 1939. Fait prisonnier le 15 juin 40, Jacques Hélian perd son saxophone dans la bagarre! Il ne le retrouvera jamais et, du coup, cessera à tout jamais d'en jouer! Désormais, il se contentera de diriger des orchestres! Ce qu'il fait jusqu'en mars 1943 dans l'enceinte du stalag VI F. Libéré, il reprend du service à la TSF et dans les maisons de disques. Parmi les membres de son orchestre d'alors, figurent le trompettiste André Cornille (un ancien de chez Ray Ventura) et, surtout, l'un des plus grands violonistes de jazz français avec Stéphane Grapelli et Michel Warlop: George Effrosse. Il appartient à une famille qui ne plait guère à l'occupant. Alors, un jour, il disparait et on ne l'a jamais revu. Les mouchards fleurissaient en ce temps-là...
A la libération, cet orchestre (sans Effrosse évidemment, mais sous la direction du bon guitariste/accordéoniste/pianiste Charley Bazin) grave quelques faces purement jazz pour une marque confidentielle. Ayant signé fin 44 avec Pathé-Marconi, Hélian ne peut laisser figurer son nom sur les étiquettes! Mais c'est bien de lui qu'il s'agit. Trois de ces pièces sont ici reproduites (CD "Lady be Good" NDLR): hommage à la vaillante Armée Rouge avec Cossack Patrol (alias Les Bateliers de la Volga!); hommage à la vaillante armée noire du jazz (en l'occurence Louis Armstrong) avec Strutting with some barbecue; hommage, enfin, à un jazz qui déjà se veut "moderne" (At the Woodchopper's Ball de Woody Herman). Bref, la joie, le plaisir incroyables de pouvoir jouer ce qu'on a envie de jouer sans se cacher, sans se dissimuler sous des titres traduits (non sans charme d'ailleurs...). Jacques Hélian est en route pour la gloire...
La gloire arrive très vite: dès le premier disque "Columbia", Fleur de Paris (7 juin 45), chanson de circonstance n'ayant guère à voir avec le jazz. Dans son gros livre consacré aux Jazz de Scène, Hélian admet que Pathé-Marconi eut à peu près le même nez qu'une dizaine d'années plus tôt quand Ray Ventura inaugura sa toute première séance avec Tout va très bien Madame la Marquise, autre aria de circonstances n'ayant guère à voir avec le jazz! Malgré la disette, Fleur de Paris se vend comme des petits pains, si bien que, du jour au lendemain, Hélian devient, en l'absence de Ventura encore exilé, une vedette à part entière du phonographe. Si bien qu'Hélian fait tout plein d'autres disques qui se vendent presque autant. Si bien que les engagements commencent à pleuvoir et continueront à pleuvoir pendant plus de dix ans. Si bien que Jacques peut se permettre des tas d'audaces. Il recrute des premiers prix de conservatoire et un trio vocal féminin permanent (Les Hélianes); il se paie des arrangeurs réputés (René Beaux, Raymond Legrand, Gérard Lévecque), capables de lui écrire des orchestrations fort complexes sur des morceaux de bravoure (La Danse du Sabre, par exemple, ou Je cherche après Titine); il impose des programmes astucieux, à la fois divertissants et didactiques, où le jazz a toujours la place de choix; il engage des fantaisistes pleins d'avenir (Zappy Max, Jo Charrier, Ginette Garcin, Patoum...). Surtout, ne résistant pas à la tentation, il réquisitionne en 1950 Ernie Royal, grand trompettiste noir américain, ex-soliste de Woody Herman, Count Basie et Duke Ellington, et fait confectionner sur mesure des arrangements destinés à le mettre en valeur (On the Stage, Prisoner of love, When your Lover has Gone...). Ernie Royal restera près de deux ans dans l'orchestre. En 1956-57, ce sera au tour du fameux batteur Kenny Clarke (l'un des inventeurs de la percussion be-bop) de devenir membre de la bande à Hélian. De plus, quelques uns des meilleurs jazzmen des années cinquante-soixante (George Cloud, Pierre Gossez, Janot Morales, Christian Garros, jacques B. Hess, Jean-louis Chautemps, Luis Fuentes, Bob Garcia, Raymond Fonsèque, Sadi, Roger Guérin, Christian Bellest, Vincent Casino, Guy Pedersen, Marcel Bianchi entre autres) font des séjours plus ou moins longs dans l'équipe...
Les chansons et les sketches (Fleur de Paris, Jo le cow-boy, le Gros Bill, Paris Tour Eiffel, Tiré par les cheveux, Le Porte-Bonheur, Le Régiment des Mandolines, C'est si bon, Les Jeunes Filles de bonne Famille, la Samba Brésilienne, Les Pompiers du Mexique, Le Bal à Doudou, Etoile des Neiges, Le Pain sur le Planche...), conçus dans la pure tradition des Jazz de Scène, l'emportent très nettement au cours de la période 45-50. c'est de ce genre que ressortissent des airs comme Tout à fait Fou, Voilà ce que c'est, Le Boogie de Paris, Si tu le veux, En chantant Hey Di Ho ou encore A St Germain-Des-Prés, tiré du premier vrai film de l'orchestre, Pigalle St-Germain-Des-Prés (produit par Ray ventura). Avec l'arrivée salutaire d'Ernie Royal, le côté jazzy, déjà présent dans les interprétations précedentes, ira s'affirmant, comme en témoignent ces belles réussites intitulées Prisoner of Love, Tush, Spruce Juice, Casino, Lady Be Good, When your lover has gone, ou Dis-moi que tu m'aimes (alias Stepping out). Dans cette énumération, on se gardera d'oublier le savoureux Titine, version modernisée d'une vieille rengaine, ni cette autre scie ancienne polularisée par Louis Armstrong, You Rascal You, devenu en Français Vieille Canaille et bénéficiant d'un superbe arrangement de Shorty Rogers revu par Gérard Lévecque. Casino, Dis-moi que tu m'aimes: quelques bonnes occasions d'apprécier au mieux de sa forme Jean Marco, vigoureux crooner de l'orchestre...A la Kenton, du trompettiste Fernand Verstraete, est, quant à lui, un hommage avoué et tout à fait réussi au célèbre chef d'orchestre américain, figure de proue d'un jazz que ses détracteurs avaient baptisé "progressiste". En 1934, Fred Adison avait lancé son A la Casa Loma en l'honneur du fameux Casa Loma Orchestra auquel se référaient alors prioritairement tous les Jazz de Scène, davantage encore qu'à Paul Whiteman, Jack Hylton ou Duke Ellington. En près de vingt ans, le jazz s'est évidemment modifié, et si Ellington et Basie demeurent des modèles indispensables, des tendances plus récentes - le be-bop, la musique plus policée pratiquée sur la West Coast, les courants expérimentaux - ont attiré l'attentions. Jacques Hélian vivait avec son temps! On ne s'étonnera pas de constater que A La Kenton a été choisi comme titre général de cet album...
On pourra, en revanche, s'étonner de trouver ici quelques faces demeurées inédites jusqu'à présent . C'est le cas de Voilà c'que c'est, Si tu le Veux et Où êtes-vous? (chanté par Lou Darley) qui, tous trois, furent enregistrés "normalement" (c'est à dire afin d'être commercialisés par la suite). Par contre, Prisoner of Love, Tush et Spruce Juice, que l'orchestre exécutait au cours de ses nombreux galas et probablement aussi à la radio (il y eut des tas d'émissions régulières à l'époque) n'ont été gravés que comme "essais" et la compagnie n'eut jamais la moindre vélleité de les sortir un jour. Dommage car il s'agit de véritables interprétations de jazz de grande qualité! Prisoner of Love fut retrouvé en archives sur acétates avec, sur l'étiquette, outre le titre, le nom de l'orchestre et la date, la mention "essai magnéto", le tout manuscrit. Début novembre 1950: c'est en effet le moment où Pathé-Marconi commença à enregistrer sur bande magnétique et, de toute évidence, l'orchestre Hélian, grande vedette de la firme, fut mis à contribution. On fit ensuite un "souple", pour juger de l'effet - la bande originale n'a, quant à elle, pas été retrouvée (sans doute fut-elle effacée après l'essai). Tush et Spruce Juice, de l'année suivante, ont eux aussi été retrouvés sur "souples" dans les archives. Là non plus, la bande originale ne semble pas avoir survécu! Même notations que précédemment (titres, orchestre, dates), avec, cette fois, la mention: "essai écho" (sic!). Et c'est vrai que la "réverb" est de la partie, sur le mode du colossal! L'essai ne fut sans doute pas jugé très bon. Par chance, les acétates furent tout de même conservés... Signalons qu'à partir de Prisoner of Love, tous les enregistrements furent effectués sur bande puis reportés sur disques (alors qu'auparavant, on réalisait des "gravures directes" sur cire ou laque.(...)
Après le départ d'Ernie Royal (mai 52), l'équilibre réalisé entre le jazz et les autres genres musicaux est maintenu bien que la liste des enregistrements ne le reflète guère. On y trouve pourtant une intéressante version du célèbre Lullaby Of Birdland en 1954 ainsi qu'une incursion dans le dixieland avec Chic (Down Yonder). Les orchestes de music-hall abordant tous les genres, celui, fort populaire, de la musique latino-américaine ne peut être laissé de côté (Dansez Macumba), non plus que la chanson italienne devenue soudain très à la mode. Et puis vient le rock...Hélian et ses hommes s'y essaient également, non sans talent du reste. Cependant Hélian admet que tout cela contribue à diviser son public: "Il y a une nette coupure, un fossé qui se creuse entre les jeunes et les autres...". On est là à un tournant capital que bien peu d'anciens arriveront à négocier à leur avantage, quelle que soit leur notoriété. On peut le déplorer mais on ne peut y changer garnd chose. Alors que les pères du genres, les Ray Ventura, Fred Adison et autres Jo Bouillon se sont déjà depuis lougtemps reconvertis, le dernier en date, l'un des plus fameux, des plus populaires, Jacques Hélian, qui a repris le flambeau, qui est devenu l'une des très grandes vedettes des années cinquante et qui a décroché plusieurs beaux disques d'or, cède la place, à son tour, en 1957. La vague soudaine du rock n'est pas seule responsable, bien sûr. Il est probable que la formule, aussi séduisante soit-elle, ait fait son temps.
Par la suite, pendant des années (jusque fin 1979), Jacques Hélian ne cessa de revenir à la direction d'orchestres plus ou moins réguliers. Mais il n'y eut plus de disques d'or, et jamais plus rien ne fut comme avant. Encore une page de tournée...

Daniel Nevers