01-09 Ralph Vaughan Williams (1872-1958) : Songs of Travel
Ernest Bloch (1880-1959) : Poèmes d'Automne Textes : Béatrix Rodès https://prospero-classical.com/wp-content/uploads/2019/09/ALEX_MARIJA_GESANGSTEXTE_digital.pdf |
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14 LA VAGABONDE Elle a passé dans le vent d’automne. Elle cheminait par les routes blêmes, loin des bois roussis et craquants, vers les hameaux inhospitaliers, sous le ciel morne comme son cœur. Elle allait, elle allait d’une allure accablée, lourde des souvenirs accrochés à ses haillons, enchâssés dans sa chair douloureuse, et ses pieds las étaient gonflés, et ses yeux étaient farouches. Nul regard ne croisait la véhémente détresse des siens, et nulle main ne frôlait ses doigts meurtris dans sa marche triste vers l’inconnu. Elle a passé dans le vent d’automne, la sans foyer, la sans amour, la sans Dieu. |
15 L’ABRI J’écoute la voix de mon rêve… Pour aller à toi je longerai le fleuve aux furieuses vagues beiges, je retrouverai les chemins effondrés aux flaques troubles qui reflètent des paysages inconnus. Mes pieds seront alourdis de boue, et ma marche vers toi sera lente et pénible, comme celle des nuages aux contours bizarres et aux teintes mauvaises qui ceinturent la terre oppressée, nostalgique de soleil. Les mouettes au vol pesant tournoieront au-dessus des flots tourmentés en poussant des cris plaintifs la pluie froide humectera mes lèvres arides, et le vent, qui cingle mon visage nu et brutalise mes cheveux dénoués, arrachera par nuées les feuilles mourantes des arbres, qui semblent protester en de grands gestes pathétiques de toutes leurs branches malades. Et j’irai, j’irai dans le crépuscule d’orage vers l’abri chaud où tu m’attends ; quand j’entrerai dans la maison, tu prendras dans les tiennes mes mains raidies et tu laisseras ma tête lasse reposer sur ton épaule. Nous resterons ainsi, au coin du feu, sans transports, sans paroles. Mes sanglots seuls te diront combien longtemps j’ai trébuché dans les sentiers obscurs, et toutes les pierres cruelles qui ont écorché ma chair, eux seuls t’apprendront combien de temps j’ai jeté dans la nuit vaste mon cri de détresse et d’abandon. Ne me demande pas des gestes fous de passion ; enveloppe de tes bras d’amour mon corps exténué et tremblant, et que je sente ton cœur battre le rythme de ta vigilante tendresse, le Bonheur a tes yeux. |
16 LE DÉCLIN Dans le verger paisible, bordé là-bas de peupliers aux frissonnantes feuilles d’or, dans le verger bleuté et roux, la femme qui sera vieille demain promène sa mélancolie. Une tunique fauve voile son corps divin, atteint du mal d’automne, et sa chevelure, à reflets de cuivre, effleure son beau visage fané et rutile sur ses épaules. Elle tient des chrysanthèmes dans ses mains sensitives encore épargnées, et de leurs tiges rudes elle tourmente sa gorge et son cou tandis que ses regards assombris suivent les pétales teintés de feu qui s’effrangent sur sa robe et s’éparpillent dans l’air tiède. Les souffles errants se jouent sur ses lèvres qui se souviennent, et elle s’arrête pleine d’angoisse parfois, car elle aperçue dans l’odeur acide des fruits oubliés qui pourrissent sur l’herbe, comme un relent de mort. Les feuilles s’effritent sous ses pas, les rameaux s’entrechoquent au vent du soir, et la femme pleure sa beauté qui s’en va. |
17 INVOCATION Les colonnes du temple s’animent d’une pâleur plus chaude dans la pourpre du couchant. C’est l’heure pacifique où le bois de sycomores s’emplit de mystère et d’aménité. Sur la stèle fruste de la clairière sacrée, la prêtresse a déposé la cassolette fumante. Une à une, les mains jointes, les vierges, drapées en la candeur de leurs mols vêtements, défilent dans la sente tracée par leurs pas et se prosternent, les bras croisés sur la gorge, dans l’attitude adorante du rite. Devant l’autel où brûle l’offrande parfumée, et tandis que la flamme monte, monte vers les feuilles attardées aux rameaux, tandis que l’air vibre alentour et qu’à travers les voiles de fumée les arbres semblent chanceler et se raidir en des poses extatiques, des formes blanches encore émergent du lointain flou, telles de grandes fleurs étranges, à leur approche, le bois s’abime dans le silence, et recueille son âme éparse. C’est l’heure pacifique. |