« Éloignez-vous » : Une mélodie inédite de Dutilleux (sur un sonnet de Jean Cassou)

http://jbdumora.free.fr/Eloignez_vous.mp3 *

Éloignez-vous sur la pointe des pieds.
Prenez la barque et ne revenez plus.
Retournez tous chez vous avec vos fées,
vos ombres étrangères et vos luths.

Bien sûr, pour vous, beaux promeneurs,
ce fut une aventure neuve et enchantée.
Emportez-là comme un bijou volé,
un feu qui tremble encore, un livre lu.

C'est ici la chambre des anges morts.
Laissez-nous seuls dans notre vie déserte,
devant ces mains et ces ailes inertes.

Il s'est passé ici, depuis l'aurore,
une effrayante histoire, étrange et tendre,
et que le désespoir seul peut comprendre.

Très sobre avec son ostinato doux et un peu sinistre, son absence d'éclat, c'est peut-être le moins spectaculaire des quatre Cassou de Dutilleux qui nous sont parvenus à ce jour - qu'on compare au combattif «Il n'y avait que des troncs déchirés »!
L'œuvre a reparu à la fin de l'année 2010. Il s'agit de la mise en musique du dix-septième des Trente-trois sonnets composés au secret de Jean Cassou - et je place les quatre Cassou parmi les quelques œuvres les plus intenses de tout Dutilleux.

Le baryton Jean-Baptiste Dumora , qui sonne avec la clarté qui sied à son rang, mais aussi avec l'ampleur et l'autorité d'une basse, énonce cette musique avec une musicalité absolument hors du commun, rendant terriblement familière cette musique si touffue, et magnifiant chaque mot de son texte. Le résultat est d'un charisme immense qu'il est difficile de décrire, une sorte de miracle où tout est parfait (beauté du timbre riche mais clair, autorité de la projection, évidence de la ligne mélodique, éloquence des mots, poids émotionnel), mais où le tout vaut plus que la somme de ces parties parfaites. Accompagné au piano par Noël Lee
Plus que tout, on ne songeait pas à tout cela : on le sentait en pleine communion avec cette musique (qu'il chantait pour la première fois !), et nous aussi. Sa transmission était optimale, mais indolore, comme s'il était un catalyseur plus qu'un interprète. Le rêve de tout interprète et de tout auditeur, en somme, toucher à l'essence de la musique entendue.

1. La Geôle (1944)
2. Éloignez-vous (1945 redécouvert en 1954)
3. Il n'y avait que des troncs déchirés (1955)
4. J'ai rêvé que je vous portais entre mes bras (1954)
(Orchestrés en 2011)