Le jazz, considéré par les nazis comme une musique "négro-judéo-anglo-saxonne"
a connu, paradoxalement, un grand succès sous l'Occupation.
A partir d'une étude
approfondie de l'histoire du jazz en Allemagne, l'auteur explique la présence de
militaires allemands dans les salles de concerts, cabarets. Il présente la
situation du jazz en Belgique, à Paris et dans les Hots Clubs de province.
Précédé d'une introduction de Pascal Ory et prolongé par une
chronologie concise et d’une bibliographie compacte (qui eût
demandée à être mieux découpée), cet ouvrage de 266 pages résume une
thèse d’histoire fort consistante (sept cents pages agrémentées de
150 documents placés en annexe). Gérard Régnier braque la focale sur
le jazz dans la France des années de guerre sur laquelle on n’avait
jusqu’alors que peu de chose de valeur historique conséquente, à
l’exception d’un article déjà ancien de Ludovic Tournès consacré à
la question dans La vie musicale sous Vichy, dirigée par
Myriam Chimènes, en 2001 1
Dans un registre descriptif, ce livre
brosse un tableau très précis du monde du jazz sous l’occupation.
Les réflexions que Gérard Régnier développa lors du colloque de
Dijon sur l’Histoire du Jazz en France 2,sur
le jazz à la radio (sur ce sujet très compliqué où se mêlent les
préoccupations de censeurs pas toujours armés pour assurer une
censure bétonnée) sont déjà présentes ici. Cet ouvrage embrasse bien
d’autres domaines : le jazz sur disques, le jazz dans les clubs,
brasseries et music-hall, cela est abordé avec subtilité à partir de
sources indiscutables, telles les Archives de l’Assistance publique
et des Hôpitaux de Paris qui gèrent le droit des pauvres et qui
permettent de se faire une idée de l’économie du jazz d’une époque
qui, pour la musique et les arts s’entend, est âge sombre autant
qu’âge d’or. Et puis, il y a les personnes. En premier lieu, Hugues
Panassié. Après un premier article publié en 1930 dans la Revue
musicale puis dans Le Jazz Hot, publié en 1934, Hugues
Panassié a imposé la présence d’une grande musique « noire » à côté
de la « grande musique ». Entretenu et relayé par un petit noyau de
puristes, son discours finira par obtenir la légitimation de cette
musique. Gérard Régnier a dépouillé ses archives dans la médiathèque
de Villefranche-de-Rouergue. Son futur opposant Charles Delaunay est
évidemment présent 3.
Très exhaustif, Gérard Régnier ne manque pas de s’intéresser aux
sections locales du Hot Club de France (Marseille, Rennes,
Carcassonne, etc.), ainsi qu’aux prestations jazzistiques au stalag.
L’auteur aborde le cas des musiciens juifs, des Noirs, le cas Django
Reinhardt, celui des collaborationnistes et la place du jazz dans la
presse de l’époque, vichyssoise ou collaborationniste pour battre en
brèche beaucoup d’idées reçues. Et puis, l’auteur a lu les ouvrages
de l’époque et la presse qui en assure la réception notamment
d’André Cœuroy.
Aujourd’hui, alors que resurgissent des
polémiques liées à la période de l’occupation (autour du rôle de
Jacques Chailley, secrétaire général du Conservatoire en 1940, par
exemple), que de nouvelles recherches s’emploient à travailler sur
la musique durant l’occupation (on attend la thèse de Frédéric
Gaussin 4),
l’ouvrage de Gérard Régnier est indispensable. Travail obstiné sur
les sources, subtilité de l’analyse. L’auteur évite les généralités
et les lieux communs. Il sépare soigneusement faits et hypothèses.
Démonstration de manière fluide, prudente. On ne peut que souscrire
au jugement de Pascal Ory mis en prologue de l’histoire : « Gérard
Régnier est un amateur de jazz et un professionnel de l’histoire ».
Notes
1 Ludovic Tournès, « Le jazz, un espace de liberté pour un phénomène culturel en voie d’identification », in Myriam Chimènes, La vie musicale sous Vichy, Paris, Complexe, 2001.
2 Colloque « Histoire du Jazz en France », Dijon, 23, 24, 25 mars 2011. Les actes du colloque sont à paraître aux éditions Outremesure en 2012.
3 Voir aussi Anne Legrand, Charles Delaunay et le jazz en France dans les années 30 et 40, Paris Éditions du Layeur, 2010.
4 Voir Frédéric Gaussin, « Vies parallèles, destins mêlées : Alfred Cortot (1877-1962), Lazare-Lévy (1882-1964), deux virtuoses dans l’État français », dans Marine Branland et David Mastin (dir.), De la guerre dans l’art, de l’art dans la guerre, Paris, Textuel, n° 63, 2010.