Rudolf Karel
(9 novembre 1880 à Pilsen - 6 mars 1945 au camp de concentration de Theresienstadt)

La vie de Rudolf Karel et son oeuvre portent à bien égards la marque des deux guerres mondiales. Si le vécu tragique de ces périodes devait parfois devenir une source d'inspiration, ces deux catastrophes de l'histoire ont puissamment déterminé l'évolution de Karel en faisant de lui tout à la fois un héros et un martyr. La Première Guerre Mondiale marqua un tournant radical dans sa vie alors bien qu'il fut musicien, il dut séjourner en Russie où son appartenance aux Légions tchécoslovaques lui valut de connaître la Sibérie. Durant la Seconde Guerre Mondiale il fit l'objet de cruelles persécutions et mourut enfin sous les coups des tortionnaires national-socialistes de Terezin.

Il s'agissait certes d'un début bien tardif lorsque Karel s'inscrivit en 1901 au conservatoire de Prague. Il suivit l'enseignement de ces grands maîtres que furent Karel Knittl, Josef Klicka, Karel Stecker et Karel Hoffmeister et fit un apprentissage musical particulièrement complet. Au cours de sa dernière année d'études, il fréquenta la classe d'Antonin Dvorak et devint ainsi l'un des derniers élèves de ce célèbre compositeur.

Solidement armé pour entreprendre son métier de compositeur, Rudolf Karel développait à présent un intense activité artistique. A l'âge de 35 ans, il était l'auteur, non seulement de nombreuses oeuvres de musique de chambre, mais encore d'une grande épopée symphonique, intitulée "Idéale" op. 11 (1909) à travers laquelle il entendait exprimer son scepticisme devant la vie. Vilém Zemanek et la Philharmonie tchèque créèrent peu avant la guerre, une autre de ses oeuvres, l'immense "Symphonie Renaissance" op. 15 (1921). En outre il avait composé une Symphonie pour violon et orchestre op. 20 (1914) ainsi qu'un opéra "Le coeur d'Ilse" op. 10 (1909).

Le succès toutefois ne vient que bien plus tard. Sensiblement au même moment où l'héritier de la couronne d'Autriche venait d'être assassiné à Sarajevo, Karel s'était rendu à Stawropol en Russie pour y passer l'été : la guerre ne lui permit pas de revenir dans son pays. Il fut tout d'abord arrêté, suspecté d'être un espion autrichien. Il parvint heureusement à fuir. La révolution d'octobre devait l'entraîner dans une vie agitée. Quel que soit l'endroit où il séjournait, Karel travaillait avant tout comme artiste. Ainsi, durant son séjour en Russie, il avait composé toute une série de compositions qu'il ne put, malheureusement, emporter lorsqu'il retourna chez lui. Une seule oeuvre avait échappé à ce destin : il s'agit d'une grande oeuvre symphonique qu'il avait composé entre 1918 et 1920. Cette oeuvre fut enregistrée comme op. 23 sous le titre "Démon". Peut-être s'agit-il de ces démons de la guerre dont Karel avait souffert durant ces années-là.

A l'éclatant succès que devait remporter cette symphonie lors de sa création en 1921 par la Philharmonie tchèque - et même à l'étranger - succédèrent des années d'intense activité : Karel fut nommé professeur de composition au conservatoire de Praque. Ces années marquèrent une nouvelle étape de sa vie au cours desquelles Karel forgea son style propre. Il composa alors ses cycles de mélodies ainsi que des cantates. Dans le domaine de la musique instrumentale il composa le "Quatuor à cordes" op. 37 (1936), et vers la fin des années 1930 une nouvelle symphonie "Symphonie du Printemps" op. 38 (1938). La composition qui caractérise le mieux la production de Karel entre les deux guerres mondiales est sans aucun doute son opéra "La mort-marraine" op. 30 (1932) d'après un livret de Stanislav Lom.

Rudolf Karel n'eut cependant pas le loisir de cueillir les fruits de son talent et de son travail créateur qui marquèrent en profondeur la vie musicale tchèque de l'Entre-deux-guerres. En 1938 survint l'occupation national-socialiste de certaines régions du territoire de l'État tchécoslovaque (notamment des Sudètes). Karel haïssait le fascisme, de même que l'ensemble des événements du mois de mars 1939 (occupation allemande de l'ensemble du territoire de l'Etat tchèque); il donna une expression artistique de ces sentiments dans son oeuvre "Ouverture révolutionnaire" op. 39 (1941). Alors qu'il était au seuil de sa soixantième année, il rejoignit la résistance antifasciste : il collectait des informations et des instructions qu'il transmettait aux groupements illégaux et fonctionnait en tant qu'agent de liaison de l'important groupe politique Kvapil-Krofta-Làny. De même sa résidence d'été près de de Novy Jachymov dans les forêts de Krivoklàt servait de refuge aux partisans et aux combattants de la résistance auxquels Karel offrait une aide permanente.

La Gestapo identifia le groupe ainsi que le réseau auquel Karel appartenait et procéda à leur arrestation. Au soir du 19 mars 1943, Karel fut conduit au Palais Petschek où il fut interrogé toute la nuit avant d'être transféré à la prison de Pankràc. Il y fut interné durant presque deux ans non sans subir régulièrement les interrogatoires de la Gestapo au cours desquels il conserva un silence total. Lorsqu'il parvint aux limites de sa résistance, il se réfugia dans un simulacre de démence et de faiblesse d'esprit et fit semblant de ne plus pouvoir marcher.

Pourtant, en dépit de toutes ses souffrances il avait composé avec son compagnon de cellule, l'étudiant Stansilav Falta, "Chant de la Liberté", ultime geste de dérision à l'égard de ses tortionnaires. Où cet homme a-t-il pu puiser tant de forces pour pouvoir exercer une activité créatrice, alors qu'il subissait les conditions de l'enfer national-socialiste des cellules de Pankràc ? Cela relève des mystères de la nature humaine.

Outre quelques compositions de circonstance pour le piano, Karel commença dans sa cellule numéro 127 à écrire une nouvelle oeuvre, sont conte "Les trois cheveux d'or du grand-père omniscient". A défaut de librettiste, il rédigea lui-même le texte d'après l'argument d'un conte du poète Karel Jaromír Erben. Ce conte évoque l'histoire d'un enfant de charbonnier que les Parques avaient destiné à une vie heureuse et qui, miraculeusement et grâce à la bonté de divers personnages, put se frayer un chemin entre les souffrances et les maux de l'existence.

Afin de pouvoir rédiger au moins une sorte de particella comportant des indications d'instrumentation, il dut déployer toutes ses forces pour concentrer ses pensées. Ainsi, tout au long les sept mois durant lesquels il travailla à cet opéra, il lui fallut mémoriser l'ensemble de la musique. Sans disposer de papier à musique, il composa sur des petits bouts de papier de toilette et lorsqu'il n'avait plus de quoi écrire, il utilisait des éclats de bois qu'il arrachait au plancher et qu'il noircissait avec du charbon animal - un médicament précieux. Jour après jour, au fil de l'avancement du travail, et sans que l'auteur ait pu relire son travail, un gardien tchèque faisait sortir les feuillets de la prison pour les mettre soigneusement à l'abri (il y en eut 240).

Nonet

Le Nonet en sol mineur fut composé sensiblement dans les mêmes conditions entre le 16 janvier et le 5 février 1945. Certes, il ne put ici se défaire de la souffrance qui - en dépit d'un humour particulièrement féroce dont il divertissait ses compagnons de détention - dominait alors certainement sa vie intérieure; il parvint toutefois à surmonter son angoisse pour parvenir à une foi optimiste et à cette joie dont l'homme a absolument besoin pour vivre.

A peine avait-il pu envoyer la dernière petite feuille du Nonet qu'il fut dirigé le 7 février 1945 vers Terezin et incarcéré dans l'une des cellules de la quatrième cour de la petite forteresse. Ces cellules regorgeaient de prisonniers et les conditions d'hygiène y étaient terrifiantes. Son état physique s'aggravait rapidement et inexorablement. La catastrophe survint le 5 mars lorsque le lieutenant du commandant Rojko fit irruption avec quelques gardiens dans la cellule des convalescents où Karel, souffrant de fièvre et de dysenterie, luttait contre la mort, et envoya les détenus, nus sans couverture, dans la cour. On avait pris pour cela le prétexte d'une action d'épouillage. Quoique quelques codétenus vinrent à son secours, il ne purent sauver Karel. Il mourut le jour suivant et fut enseveli dans une fosse commune à l'intérieur de la petite forteresse.

Tel qu'il nous est parvenu, le Nonet ne peut être exécuté; il était nécessaire qu'il fut arrangé, y compris au plan de l'instrumentation. Le premier arrangement de cette oeuvre fut réalisé par Frantisek Hertl. Grâce au travail de ce dernier le Nonet put être exécuté le 21 décembre 1945 à la Radiodiffusion tchècoslovaque. Toutefois, à bien des égards, cet arrangement demeure problématique : certains passages du document original ont été supprimés, divers enchaînements harmoniques ont été simplifiés, enfin on y relève certaines erreurs d'interprétation quant à la structure du troisième mouvement. C'est ainsi que Václav Snítil se résolut à réaliser un nouvel arrangement et une instrumentation de l'oeuvre en partant du manuscrit de Karel. Ce travail occupa Václav Snítil durant toute l'année 1984. Le Nonet tchèque présenta l'oeuvre ainsi restaurée lors d'un concert public le 5 mai 1985 à Beroun : cette exécution eut lieu lors de l'inauguration de l'exposition "Musique à la limite de la vie", à l'occasion du 40e anniversaire de la libération de la Tchécoslovaquie de l'occupation allemande.

Milan Kuna (traduction Christian Meyer)

 


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