Terezín - Theresienstadt
Anne Sofie von Otter
DG 477 6546
Berlin, Teldex Studios, 2/2006 - Munich, Bavaria-Musik-Studios, 2/2007
Ilse Weber (1903-1944)
1.Ich wandre durch Theresienstadt [2'38]
(I wander through Theresienstadt) Text: Ilse Weber

Karel Švenk (1917-1945)
2.Pod deštníkem [3'10]
(Under an umbrella) Text: Karel Švenk · arr.: Moshe Zorman
3.Všechno jde! (Terezín March) [2'16] (Anything goes!) Text: Karel Švenk · arr.: Moshe Zorman
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano · Bengt Forsberg, piano · Bebe Risenfors, accordion

Ilse Weber
4.Ade, Kamerad! [2'23]
(Farewell, my friend!) Text: Ilse Weber
Christian Gerhaher, baritone · Gerold Huber, piano
5.Und der Regen rinnt [1'48] (And the rain runs) Text: Ilse Weber
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano · Bengt Forsberg, piano · Bebe Risenfors, double bass

Adolf Strauss (1902-1944)
6.Ich weiß bestimmt, ich werd dich wiedersehn! [3'19]
(I know for certain that I shall see you again!) Text: Ludwig Hift (1899-1981) · arr.: Moshe Zorman
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano · Bengt Forsberg, piano

Anonymous
7.Terezín-Lied [2'56]
(Terezín Song) after the song “Komm mit nach Varasdin" from the operetta Gräfin Maritza by Emmerich Kálmán (1882-1953) Text: anon.
Christian Gerhaher, baritone · Gerold Huber, piano

Martin Roman (1910-1996)
8.Wir reiten auf hölzernen Pferden [4'12]
(We're riding on wooden horses from the Cabaret Karussell) Text: Manfred Greiffenhagen (1896-1945)
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano · Bengt Forsberg, piano

Ilse Weber
9.Wiegala [2'35]
(Lullaby) Text: Ilse Weber
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano · Bebe Risenfors, guitar

Hans Krása (1899-1944)
Three Songs after poems by Arthur Rimbaud
in a translation by Vítìzslav Nezval (1900-1958)
10.Čverší [1'41] (Quatrain)
11.Vzrušení [2'00] (Sensation)
12.Přátelé [1'19] (Friends)
Christian Gerhaher, baritone Ib Hausmann, clarinet · Philip Dukes, viola · Josephine Knight, violoncello

Carlo Sigmund Taube (1897-1944)
13.Ein jüdisches Kind [2'44]
(A Jewish child) Text: Erika Taube (1913-1944)
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano · Bengt Forsberg, piano · Ib Hausmann, clarinet

Viktor Ullmann (1898-1944)
14.Beryozkele [5'21]
(Birch Tree) from Three Yiddish Songs (Březulinka) op. 53 Text: David Einhorn (1809-1879)
Six Sonnets op. 34: Texts: Louize Labé (1522-1566)
15.Clere Vénus (Sonnet V) [3'36] (Bright Venus)
16.On voit mourir (Sonnet VII) [2'39] (All living things are seen to perish)
17.Je vis, je meurs (Sonnet VIII) [1'22] (I live, I die)
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano · Bengt Forsberg, piano

Pavel Haas (1899-1944)
Four Songs on Chinese Poetry
in a translation by the poet Bohumil Mathesius (1888-1952)
18.Zaslech jsem divoké husy [2'39] (I heard the wild geese) Text: Wei Ying-wu (737-792)
19.V bambusovém háji [2'06] (In the bamboo grove) Text: Wang Wei (699-761)
20.Daleko měsíc je domova [5'05] (The moon is far from home) Text: Chang Chiu-ling (673-740)
21.Probděná noc [3'27] (A sleepless night) Text: Han Yu (768-824)
Christian Gerhaher, baritone · Gerold Huber, piano

Erwin Schulhoff (1894-1942)
Sonata for Solo Violin (1927) [12'00]
22.1. Allegro con fuoco [1'42]
23.2. Andante cantabile [5'31]
24.3. Scherzo. Allegretto grazioso [2'11]
25.4. Finale. Allegro risoluto [2'36]
Daniel Hope, violin



»Ta patrie est là-bas, en pays lointain«
Compositeurs de Theresienstadt

L'idée de ce CD remonte à l'an 2000, lorsque Anne Sofie von Otter fut invitée à chanter au Forum international de Stockholm sur l'Holocauste. À cette occasion, la Terezín Chamber Music Foundation proposa à la chanteuse diverses œuvres de musique vocale, parmi lesquelles des mélodies de Viktor Ullmann et Zikmund Schul, des berceuses, et des chansons de la tradition populaire juive. »C'était ma première rencontre avec cette musique, et elle m'a fait une impression profonde et durable,« se souvient Anne Sofie von Otter.
»Dans une existence remplie de souffrances inimaginables, la musique et d'autres formes artistiques comme le théâtre ou la littérature offrirent aux détenus de Theresienstadt quelques rares instants de soulagement, quelques précieuses minutes de distraction. Je suis chaque fois profondément bouleversée en songeant au destin terrifiant de ces prisonniers innocents, de tous les êtres humains, jeunes et vieux, qui ont été assassinés par les Nazis«, confie Anne Sofie von Otter. »On a souvent dit: “nous ne devrons jamais être autorisés à oublier", mais cela doit être répété encore et encore. Le génocide et la persécution sont des choses qui se produisent encore chaque jour dans le monde. Avec ce projet, je souhaite sincèrement rendre hommage à ceux qui ont créé cette musique dans des conditions de misère indescriptibles et qui ont perdu la vie si tragiquement.«
L'idée de cet enregistrement a été accueillie avec enthousiasme par Marion Thiem, alors productrice pour Deutsche Grammophon, qui s'est mise en quête de partitions, de manuscripts et de littérature, et qui a pris contact avec le Terezín Music Memorial Project initié par David Bloch plus de vingt ans auparavant en Israël.
Le nom Theresienstadt, en tchèque Terezín, est devenu synonyme du plus atroce mensonge de la propagande nazie. Dans ce camp de concentration était rassemblée presque toute l'élite culturelle juive. Savants et spécialistes de tous les domaines scientifiques, artistes, gens de théâtre, gens de lettres, musiciens, arrachés par la force à leur existence normale, se retrouvèrent là unis dans la misère avec une multitude de personnes âgées. Au départ, la culture se développa à Theresienstadt dans la clandestinité, car toute activité culturelle y était illégale et passible de punition. Puis, lorsque le camp fut déclaré »colonie juive«, presque tout ce qui pouvait être qualifié de culture évolua dans une zone d'incertitude semi-légale, avant d'être totalement légalisé - à des fins de propagande - au début de l'année 1944. Les artistes de Theresienstadt obtinrent alors le privilège cynique de contribuer au divertissement de leurs compagnons de misère avant d'être assassinés, mais aussi celui de participer comme figurants à une vaste manœuvre de mystification. Les nazis mirent en scène aux yeux du monde un parfait cirque d'attractions: théâtre, concerts, opéra, opérette, café - afin de montrer une joyeuse troupe de musiciens et de poètes aux visiteurs du camp, parmi lesquels des inspecteurs de la Croix-Rouge internationale. La ruse fonctionna et le monde se laissa berner par l'abominable supercherie mise en scène dans ce »village Potemkine«.
En réalité, les détenus végétaient dans l'étroite zone-limite qui sépare la survie précaire de l'anéantissement par la faim et le travail forcé. En absolue contradiction avec ces conditions de vie effroyables, la création spirituelle prit des formes extraordinairement variées. Il était même possible d'entendre dans le camp des œuvres que le régime de terreur nazi avait interdites partout ailleurs. Soumis à un esclavage qui les mettait physiquement en danger, les prisonniers vécurent à Theresienstadt une libération culturelle d'une dimension insoupçonnée. Au-dessus de cette existence ambivalente planait le spectre omniprésent de la mort, sous forme de »convois vers l'est« pouvant survenir à chaque instant. Dans son essai Goethe et Ghetto, le compositeur et chef d'orchestre Viktor Ullmann reconnut »que nous n'étions pas simplement assis sur les rives de Babylone à nous lamenter et que notre volonté de culture était à la mesure de notre volonté de vivre«.
Les compositeurs incarcérés à Theresienstadt ne se considéraient pas en premier lieu comme des prisonniers, mais comme des êtres humains défendant avec une irréductible force morale leur humanité et leur idéal humain, jusqu'au seuil de l'anéantissement physique. Leurs œuvres sont un acte suprême de résistance, témoignages d'un combat opiniâtre pour protéger leur appartenance à la tradition culturelle européenne dont leurs tortionnaires voulaient les bannir. C'est à Theresienstadt que l'anthroposophe Ullmann prit conscience de ses racines juives. Il composa le cycle yiddish Březulinka, dont est extrait »Beryozkele«, peu avant d'être déporté à Auschwitz. Lorsque la Wehrmacht envahit la Tchécoslovaquie le 15 mars 1939, ce compositeur renommé fut du jour au lendemain réduit au rang de »sous-homme indigne de vivre «. On lui interdisit de paraître sur scène, ses œuvres disparurent des affiches.
Un sort analogue avait été réservé à Pavel Haas avant sa déportation. Arrivé au »ghetto« dès décembre 1941 en tant que membre du »commando de construction«, Haas y fut paralysé par les humiliations quotidiennes et tomba dans une profonde léthargie dont seul le soutien d'autres musiciens put le libérer. La dernière œuvre complète que cet élève de Janáèek composa à Theresienstadt est en même temps sa plus célèbre: les Quatre Chants sur des poésies chinoises. »Ta patrie est là-bas, en pays lointain« - ce premier vers, leitmotiv lyrique du cycle, sert à exposer le Choral de saint Venceslas que Haas choisit pour symboliser musicalement sa patrie tchèque et qui réapparaît dans chacun des quatre chants.
Interné à Theresienstadt sous le numéro 21855, Hans Krása devait connaître une popularité supérieure à celle de tous les autres compositeurs: son opéra pour enfants Brundibár, aujourd'hui apprécié dans le monde entier, est probablement la plus célèbre des œuvres musicales rattachées à Theresienstadt. Sur l'ensemble des morceaux qu'il composa en camp de concentration, seuls nous sont parvenus une ouverture pour petit orchestre, de la musique de chambre, et les Trois Lieder d'après Rimbaud. Krása utilise pour ceux-ci la traduction de Vítezslav Nezval - un signe d'amour profond et une profession de foi en sa patrie tchèque. Le 15 octobre 1944, Krása, Haas et Ullmann furent déportés à Auschwitz et gazés le jour de leur arrivée. Brutalement interrompus dans leur élan créateur, ces hommes n'ont pu léguer à la postérité qu'un fragment d'œuvre artistique. On a aujourd'hui le souffle coupé en mesurant l'immense potentiel de l'avant-garde musicale qui fut ostracisée et anéantie dans les chambres à gaz.
À Theresienstadt, le désir et le besoin de musique couvraient toute l'étendue du paysage sonore, depuis l'art le plus exigeant jusqu'à la musique légère. Les mélodies d'opérette ou de valse viennoise permettaient aux détenus de s'évader dans le rêve d'un passé immaculé, ce qui inspira à un librettiste doté d'esprit critique une parodie de l'air célèbre de Comtesse Maritza de Kálmán : »Oui, nous autres à Terezín, nous prenons la vie à la légère ...«. Le public de Theresienstadt appréciait surtout les représentations de cabaret. Kurt Gerron, connu entre autres pour son rôle dans le film L'Ange bleu, mit en scène le cabaret Karussell sur un texte de Manfred Greiffenhagen et une musique de Martin Roman, excellent pianiste de jazz et chef des »Ghetto Swingers«. En écoutant le refrain de la célèbre chanson »Nous cavalons sur des chevaux de bois«, les détenus pouvaient oublier momentanément l'horreur du quotidien et se réfugier dans des souvenirs d'enfance heureuse. Les productions de cabaret de Karel Švenk (surnommé »Chaplin« à Theresienstadt) et de son »Théâtre des talents inutiles« étaient encore plus populaires. »Tout va, avec de la bonne volonté!« devint l'hymne du camp. Une seule chanson de Carlo S. Taube a été conservée. Comme presque tous les compositeurs de Theresienstadt, Taube mourut avec sa femme Erika et leur enfant à l'automne 1944 à Auschwitz. Peu avant de partir avec un convoi de la mort, Adolf Strauss composa un tango sur le thème de la bien-aimée lointaine. Ilse Weber écrivit à Theresienstadt plus de 60 poèmes dont elle mit quelques-uns en musique. Remarquables de simplicité et d'intériorité, ces airs qu'elle chantait en s'accompagnant à la guitare pendant ses veilles nocturnes d'infirmière comptent parmi ce qui a été écrit de plus émouvant dans les camps de concentration. Ilse Weber accompagna volontairement les enfants de l'hôpital jusque dans la mort. Des détenus rapportèrent qu'elle chanta son Wiegala (Berceuse) pour les enfants de Theresienstadt dans la chambre à gaz.
Erwin Schulhoff, méprisé et persécuté autant pour ses origines juives que pour ses convictions communistes, fut déporté au camp de concentration de Wülzburg en Bavière, où il mourut en 1942. »Je me consacre depuis plus de dix ans à l'œuvre de Schulhoff«, déclare Daniel Hope, »et je sens dans cette musique une magie particulière qui captive auditeurs et interprètes de la première à la dernière note. Ce qui me fascine, c'est la passion et la volonté de survivre qui parlent dans cette musique.«

Ulrike Migdal
(Traduction: Jean-Claude Poyet)
(Ulrike Migdal est l'éditrice du livre Und die Musik spielt dazu. Chansons und Satiren aus dem KZ Theresienstadt. Mit einem Essay über Kunst im Konzentrationslager. Elle enseigne la sociologie de la musique et travaille comme auteur de théâtre et de radio sur des thèmes relatifs à l'époque du national-socialisme.)