Mieczysław
Weinberg Edition Vol. 5
Neos 11129
EAN: 4260063111297
20 juillet 2011
Total time: 61:13
Live Recordings
[01] Three Palms for string quartet and soprano op. 120 (1977)
23:04
Cantata after verses by Mikhail Lermontov
Talia Or, soprano
EOS-Quartett Wien
[Willy Büchler, violin ∙ Christian Blasl, violin ∙ Roman Bernhart, viola ∙
Andreas Pokorny, violoncello]
25 July 2010 - Seestudio
Trio for Violin, Viola and Violoncello op. 48 (1950) 15:18
[02] Allegro 05:23
[03] Andante 05:32
[04] Moderato assai 04:23
Kana Matsui, violin
Johannes Flieder, viola
Christoph Stradner, violoncello
8 Août 2010 - Lake Studio
Trumpet Concerto No. 1 in B flat major op. 94 (1967) 22:49
[05] Études – Allegro molto 08:06
[06] Épisodes – Andante 08:55
[07] Fanfares – Andante 05:48
Jürgen Ellensohn, trumpet
Symphonieorchester Vorarlberg
Gérard Korsten, conductor
15 August 2010 - Festspielhaus
Au centre de la rétrospective Weinberg présentée par le
Festival de Bregenz en 2010 se trouvait la création scénique de son opéra «
La Passagère », mais plus de vingt autres œuvres furent jouées, donnant une
impression de l’incroyable richesse que recèle l’œuvre de ce compositeur
oublié. Weinberg éprouvait la nécessité de composer pour justifier sa survie
à l’Holocauste – il fut le seul survivant de sa famille. Les œuvres
symphoniques et la musique de chambre extraordinaire qui en résultent sont
pleines de mélancolie et de rébellion. Nous sommes reconnaissants à NEOS de
permettre à d’autres de partager la redécouverte de ce compositeur inspiré
et important.
David Pountney
Trois Palmiers op. 120 pour quatuor à cordes et soprano (1977)
Le poème de Mikhaïl Iourievitch Lermontov (1814-1841) traite de trois
palmiers dans le désert d’Arabie. C’est sur ce texte que Weinberg a choisi
de composer une œuvre à la formation très originale, pour soprano et quatuor
à cordes. Cette pièce conçue en 1977 se caractérise par le mélange entre
musique de chambre, cycle de mélodies et cantate.
Le style de cette composition de 20 minutes environ est des plus expressifs,
tout en insérant aussi de nombreux passages lyriques. Le Deuxième quatuor
op. 10 d’Arnold Schoenberg de 1908 qui joint également une voix de soprano
au quatuor à cordes, lui a certainement servi de modèle. Par cette œuvre,
Schoenberg assimile également une expérience très privée. Cette référence
semble aussi très importante pour Weinberg dans ses Trois Palmiers.
Dans le texte de Lermontov, les trois palmiers se plaignent à Dieu de leur
inutilité. La réponse s’avère d’une violence digne de l’Ancien Testament :
un groupe de bédouins arrive et se sert des arbres pour son feu de camp.
C’est la mort qui confère aux arbres leur sens. Tel est le message
symbolique de la pièce. Weinberg semble y surligner d’un trait d’argent les
sentiments de solitude, plus tard de colère et de détresse.
Des tournures chromatiques – qui véhiculent le topique de la souffrance dans
les styles musicaux du passé – soutiennent la douleur de ce cheminement de
sacrifice, qui conduit vers la fin à une désolation absolue. Les Trois
Palmiers cachent-ils l’Holocauste, l’assassinat des trois personnes de la
famille de Weinberg ou son propre sacrifice dans la dictature de l’art
soviétique ? On ne saurait le dire avec certitude. Peut-être que tous ces
aspects ont joué un rôle dans sa musique. La grande compassion que suscite
le destin des trois palmiers se ressent en permanence et sa transcription
musicale est impressionnante.
Trio à cordes op. 48 pour violon, alto et violoncelle (1950)
Dès 1950, Mieczysław Weinberg avait composé son Trio à cordes op. 48.
Mais longtemps, l’œuvre ne fut pas imprimée et elle n’existait donc que sous
forme d’autographe jusqu’en 2007. Il se peut que l’ère stalinienne dont elle
est issue ait influencé le caractère grave de cette œuvre.
On présume que Weinberg avait prévu comme interprètes les musiciens du
Théâtre du Bolchoï à Moscou. Mais l’œuvre ne vit finalement le jour qu’après
sa mort. Sur le plan musical, on pourrait interpréter la pièce comme une
suite de danses. Depuis l’époque de Mozart et Beethoven, le genre du trio à
cordes possède un caractère enjoué de divertimento, opposé au caractère
savant du quatuor à cordes. Cet élément dansant prédomine aussi dans le trio
de Weinberg, conjugué cependant à des traits mélancoliques.
La provenance des influences populaires n’est souvent pas facile à localiser
précisément. Weinberg a vécu en Pologne, en Biélorussie et en Ouzbékistan et
tous ces lieux l’ont marqué. Par ailleurs, la Moldavie et bien sûr la
musique populaire russe sont pour lui de puissantes sources d’inspiration.
Cependant, il utilisait toujours un langage musical idiomatiquement juif,
qui se fondait dans ces pays avec le folklore local.
Mais on peut également percevoir un tel trio à cordes comme la composition
d’un artiste « contraint à l’émigration intérieure ». L’aspect festif de
l’allegro initial n’est pas dépourvu d’un arrière-goût sarcastique.
L’andante en ré mineur mêle à la douleur qu’il chante une attitude de
rébellion et rappelle la fierté des sections lentes d’une csardas hongroise.
La partition attribue aux trois musiciens des rôles d’égale valeur.
La sonorité affiche la légèreté de la musique de chambre, mais par moments,
elle s’étoffe et acquiert une magnificence orchestrale. Dans cette œuvre de
petite dimension mais de grande importance, Weinberg parvient à formuler un
ardent plaidoyer en faveur de la liberté de l’art. Si l’on est attentif à
cette dimension de la musique, le long silence qui a entouré ce chef-d’œuvre
s’explique peut-être tout seul.
Concerto pour trompette en si bémol majeur op. 94 (1967)
Contrairement à Chostakovitch, Weinberg, qui était toujours curieux,
écrivit aussi des concertos pour les instruments souvent délaissés : parmi
ceux-ci, la flûte, la clarinette et la trompette. Cette dernière joue aussi
un rôle essentiel dans la musique de cirque russe. Durant l’ère soviétique,
ces représentations étaient même gérées par une administration propre.
Ainsi, plusieurs compositeurs de renom écrivirent de la musique pour les
numéros des artistes et clowns du chapiteau.
Dans le Concerto pour trompette de Weinberg de 1967, un arrière plan
sarcastique se mêle dans le mouvement initial à l’agitation turbulente du
cirque avec ses rythmes marqués et sa sonorité stridente. Le mouvement
central, avec son alternance d’épisodes extravertis et contemplatifs, semble
retracer le drame psychologique d’un clown triste. Peut-être est-ce le
reflet du compositeur lui-même.
Weinberg écrivit son concerto pour trompette pour l’excellent trompettiste
Timofei Dokchitser, qui réalisa la transcription mondialement connue du
Concerto pour trompette d’Aroutiounian. Dans le finale, une grande cadence
permet au soliste de briller de toute sa virtuosité. Ce dernier mouvement,
calme, affiche une structure inhabituelle. Il recèle un grand nombre de
citations connues : dès le début par exemple, on entend la fanfare de la
Marche nuptiale de Mendelssohn. Plus loin, on repère des allusions au cri du
coq tiré du Coq d’Or de Rimski-Korsakov ou au Chœur des gamins du Carmen de
Bizet.
On pourrait bien sûr relever d’autres citations et fanfares militaires. Au
lieu de terminer son concerto (créé en 1968) par une dernière danse
endiablée comme on s’y attendrait, Weinberg l’achève par une chute utilisant
une technique de collage, tout à fait dans l’esprit de la musique
contemporaine. Chostakovitch était si impressionné par cette structure
innovante qu’il qualifia le concerto de « Symphonie pour Trompette et
Orchestre ».
Matthias Corvin
Traduction : Catherine Fourcassié |